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Comment la Tunisie peut-elle se prémunir contre un désastre annoncé ?

 

Comment la Tunisie peut-elle se prémunir contre un désastre annoncé ?

 

 

 

 

Le gouvernement doit agir plus vite et mieux. Chaque citoyen se doit de contribuer. Quelques propositions à l’attention de qui veut entendre. Par Ferid Belhaj*

Je me permets ces propositions, n’étant pas engagé dans la vie politique de mon pays mais ayant bien à l’esprit ces mots de R. L. Stevenson: «La politique est peut-être la seule profession pour laquelle nulle préparation n’est jugée nécessaire.»
Comme Santiago Nasar, le personnage de Gabriel Garcia Marquez dans sa ‘‘Chronique d’une mort annoncée’’, la Tunisie avance guillerette vers une catastrophe annoncée. Tout le monde le sait. Chacun promets de «faire quelque chose». Personne ne bouge, et ceux qui pensent agir finissent par se perdre en gesticulations.
L’économie tangue, prend l’eau et commence à chavirer. La société risque de se casser en extrêmes, entre tenants d’un traditionalisme suranné et inacceptable pour la majorité, et ceux qui défendent un «modernisme» (entendez une laïcité) qui ne correspond pas à la réalité du pays aujourd’hui. 
La classe politique, puisque c’est comme ça qu’il faut l’appeler, grosse de fanfarons dont l’inflation de l’égo ne le dispute qu’a celle qui va bientôt frapper notre économie, démontre au jour le jour son incapacité à être adulte et responsable.
Le gouvernement pilote à vue, ne communique pas, laisse les zones d’ombre entamer le peu de lumière qu’il peut apporter à des citoyens inquiets. Ces derniers que tout le monde appelle à aller voter, on ne sait pour qui ni, surtout, pour quoi, paraissent désemparés. Votez, votez, il en restera sûrement quelque chose…!
Le pays qui compte, celui qui a fait ce que l’on appelle aujourd’hui la révolution, les Tunisiens qui vivotent en marge des débats politiques creux, attendent que les promesses faites soient tenues et que leur vie quotidienne se trouve améliorée. Ils n’attendront pas longtemps encore avant de se lever, une fois encore. Ce gouvernement doit agir plus vite et mieux. Dans les moments difficiles, chaque citoyen se doit de contribuer, et je mets ces quelques propositions à la disposition de qui veut entendre.
1- Au plan économique, et parce que le temps presse et que les caisses sont vides, nous dit-on:
- Etablir un système de ciblage pour aider les familles nécessiteuses. Arrêter la compensation aveugle et générale des produits de première nécessité et des services publics qui coûte si cher à l’Etat et qui profite aux ménages qui n’en ont pas besoin.
La Tunisie est le pays de la classe moyenne triomphante? Eh bien la classe moyenne n’a pas besoin de subventions lourdes de l’Etat pour acheter son pain, son huile et son sucre. Pour caricaturer, rendons-nous compte que la caisse tunisienne de compensation qui obère si lourdement le budget de l’Etat paye pour le pain des classes aisées, des diplomates en poste a Tunis, des fonctionnaires internationaux et des salaries des multinationales installées dans le pays. Des gens qui n’ont pas besoin de cette manne, et qui, pour la plupart, n’en veulent d’ailleurs pas. Il faut par contre identifier ceux qui réellement souffrent de la pauvreté et leur transférer à travers un système simple et déjà teste ailleurs, du cash pour leur permettre de profiter de la solidarité nationale.
Cette «recette» donc, utilisée dans de nombreux pays permet aux ménages les plus pauvres de se «payer» leurs produits de première nécessité et dans le même temps allège le fardeau de l’Etat, en lui permettant de diriger son budget vers d’autres priorités. C’est une manière de gérer mieux les finances publiques et de mieux cibler ceux qui ont besoin de la solidarité sociale.
- Mettre en place un système de «travail pour du cash». Les jeunes chômeurs peuvent être mis à contribution, moyennant un paiement direct par l’Etat, pour travailler dans les municipalités, les zones rurales, les quartiers défavorisés, apprendre un métier et ainsi sortir de leur routine négative et gagner un meilleur sens de dignité par le travail. Ce système sera financé à travers les économies, énormes, qui seraient faites sur la suppression graduelle des schémas de compensation généralisée.
- Mettre en place un système de transfert conditionnel de subsides, afin d’inciter le citoyen à envoyer ses enfants à l’école ou bien à assurer la santé à son épouse. Du cash serait transféré aux ménages qui auront donne la preuve que leurs enfants sont effectivement inscrits à l’école, que leurs études se déroulent dans de bonnes conditions. Le même schéma est valable pour la santé de la femme, avec la certification de visites médicales régulières comme condition du transfert de cash. Nés à la fin des années 1990 en Asie et en Amérique Latine (Bangladesh, Brésil et Mexique), ces systèmes de transferts monétaires conditionnels se sont diffusés dans le monde entier. Ils sont désormais expérimentés dans d’autres contextes (les Etats-Unis notamment).
Existant aujourd’hui sur tous les continents, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, ils vont de l’initiative Oportunidades au Mexique à l’Opportunity NYC à New York. Ces programmes se sont largement déployés au sein des pays où ils sont implantés. Le programme mexicain Progresa, mis en place en 1997, s’adressait au départ à 300.000 foyers. Son successeur Oportunidades en touche maintenant plus de 5 millions – une progression encouragée par les résultats positifs auxquels ont donné lieu les évaluations.
- Abandonner les idées coûteuses et de longue haleine. La création de nouvelles institutions financières comme cette Caisse des Dépôts et des Consignations n’est franchement pas une priorité à ce stade et il n’en résultera pas la création de nouvelles sources de financement. C’est du repackaging. Qui plus est, on risquerait de se retrouver à gérer un mammouth de plus au moment où nous avons d’autres chats à fouetter.
Le système bancaire actuel suffit pour financer les efforts d’infrastructures nécessaires au pays. Et puis arrêtons cette manie de singer tout ce qui se fait en France. La Cdc est une institution du XIXe siècle. Nous sommes au XXIe, faut-il le rappeler. Et les exemples de la Cdc marocaine ou de la Cdc sénégalaise ne sont sûrement pas transposables en Tunisie. Cette idée mérite débats et analyses, et ne doit pas être concrétisée à la va vite sous couvert d’action gouvernementale.
- Promouvoir le microcrédit et la microfinance. Mettre en place un cadre juridique adéquat pour la micro-finance qui permette le développement de ce moyen de créer des emplois et des moyens de production. Ne pas s’encombrer de soi-disant préceptes religieux qui prêchent la limitation de la micro-finance sous prétexte d’interdits de prise d’intérêts usuraires. La seule manière pour le microcrédit de se développer et de devenir pérenne est justement son mouvement vers des schémas de microfinance.
- Lancer des projets d’infrastructure simples et rapidement exécutables comme les routes rurales, les projets d’approvisionnement en eau et en assainissement, pour désenclaver les zones les plus reculées et donner du travail aux gens.
A ceux qui diraient que ces propositions ne sont bonnes que pour les pays à fort taux de pauvreté, rappelons deux choses: (i) Nos statistiques officielles montraient avant le 14 janvier qu’il n’y avait pratiquement pas de pauvreté dans le pays. Et que le réveil fut dur depuis! (ii) Des pays comme les Etats Unis (la ville de New York par exemple) utilisent avec succès certains de ces mécanismes.

2 - Au plan politique et institutionnel:
- Une clarification des règles du jeu après le 23 octobre: Le gouvernement doit avoir le courage du «leader». Le Premier ministre ne peut se contenter de suivre la volonté indécise et fractionnée de partis politiques qui aujourd’hui n’ont de légitimité que celle qu’ils se sont généreusement octroyée. M. Caïd Essebsi doit venir devant le peuple et dire clairement qu’il faut, aujourd’hui, maintenant, mettre en place les règles du jeu politique de l’après-23 octobre. Pour ce faire, il faudra impérativement éviter la pire des situations, celle qui verra une «constituante» se muer en décideur politique et en faiseur de gouvernement. Ce serait la gabegie, aidée en cela par un mode de scrutin qui donnera selon toute probabilité une représentation atomisée de la société tunisienne. A en juger par la qualité des débats au sein de la Haute instance, etc., la Tunisie serait partie pour une période de troubles et de dangers. Le régime d’assemblée, à travers l’histoire, on souvent engendre dictature et terreur.
- Un mandat pour le gouvernement. Un mandat pour la constituante: Il faudra que le 23 octobre, le citoyen tunisien soit appelé à la fois à élire son représentant à la constituante et à donner un mandat au gouvernement de transition pour que la transition, justement, se fasse avec un minimum de tumulte. La constituante doit avoir pour mandat strictement circonscrit la préparation du texte fondamental de la république. Aucune autre compétence ne doit lui être attribuée, et surtout pas celle du pouvoir exécutif. La confusion des pouvoirs est un danger pour le pays. Le gouvernement, pour sa part, doit avoir pour mandat de gérer les affaires de l’Etat, assurer la sécurité, maintenir l’économie et organiser les élections à venir, celle qui se feront sur la base de la nouvelle constitution.
- Une politique économique homogène et cohérente: Le Premier ministre, celui-ci ou un autre, devra remanier son gouvernement pour le rendre plus homogène, avec pour priorité une gestion de l’économie qui soit cohérente et rationnelle. Un ministère de l’Economie, des Finances et de la Coopération doit être créé, qui aurait aussi un rôle de coordonateur de l’action économique du gouvernement.
- Une justice plus rapide: Au niveau de la justice, et pour dépasser les atermoiements de ces derniers mois et instiller plus de transparence, il faudra que le gouvernement mette en place, par voie exécutive, un tribunal indépendant qui aura pour tâche de traiter des affaires de corruption. Là encore, les exemples abondent à travers le monde de ce type d’institutions qui ont été l’une des clés du succès des transitions politiques.
- Combattre la corruption: Pour l’avenir, le gouvernement devrait entamer la création d’une commission indépendante de lutte contre la corruption, qui aurait un mandat large et des compétences juridictionnelles. Là encore, les exemples sont nombreux et la Tunisie, qui n’a pas besoin de réinventer la roue, pourrait s’en inspirer. La Commission Amor ne suffit pas.

* Directeur du Département du Pacifique à la Banque Mondiale.

NB : Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas la position officielle de la Banque Mondiale. 

 

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