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Portrait de la communauté juive de Sousse (Tunisie), par Claire Rubinstein-Cohen (1)

 

Portrait de la communauté juive de Sousse (Tunisie), par Claire Rubinstein-Cohen (1)

 

De l’orientalité à l’occidentalisation

Un siècle d’histoire (1857-1957)

 

Comme nous le disions ici-même à propos du livre de Gisèle Sarfati, « Voyages. À la recherche d’une mémoire perdue. Sousse 1871-1967 » (2), « On a beaucoup écrit sur les Juifs de Tunisie. Surtout sur ceux de la capitale, Tunis. Beaucoup moins sur les communautés juives dites de l’intérieur… ». C’est pourquoi le travail universitaire de qualité que nous offre Claire Rubinstein-Cohen est le bienvenu. Commencée sous la direction du regretté Richard Ayoun, la thèse de l’auteur a ensuite été supervisée par Benjamin Stora.

« un travail, redisons-le, de qualité qui mérite de figurer dans tous les foyers tunes »

L’ouvrage se présente comme un gros pavé où le texte voisine avec des illustrations, des reproductions de documents rares, des tableaux statistiques, des histogrammes, des plans et des listes édifiantes qui montrent que Claire Rubinstein-Cohen est allée avec patience et ténacité à la recherche des archives les plus probantes pour étayer sa recherche.

 

Si son livre traverse, comme l’indique le titre, un siècle récent, l’auteur prend toutefois la peine de remonter le temps, allant jusqu’à cette époque lointaine où Sousse s’appelait Hadrumetum avant d’être Hadrim puis Hadrumète, Hunéricopolis, Justianopolis et enfin Soussa qui sera francisée en Sousse.

 

Avec un pic démographique de cinq à six mille âmes, la communauté juive de Sousse, implantée dès la plus haute Antiquité a cessé d’exister dans les années soixante.

 

Claire Rubinstein distingue quatre périodes dans son étude : De 1857 à 1881 tout d’abord, de la proclamation du Pacte Fondamental (Ahd el Aman) qui supprima le statut infamant de la dhimma à la signature du Traité du Bardo instaurant le protectorat français sur la Régence de Tunis. Puis, le 20 mars 1956 la proclamation de l’Indépendance de la Tunisie. Enfin, la proclamation, le 25 juillet 1957, par Habib Bourguiba de la République tunisienne.

 

Avec le souci de l’exhaustivité, l’auteur examine tous les aspects de la vie communautaire : synagogues, oratoires, cimetières, rabbins, dirigeants communautaires, activité commerciale, culture, sports…Sans oublier la parenthèse tragique de l’Occupation allemande du pays.

 

Allant au-delà de la date butoir supposée, de sa thèse, l’année 1957, l’auteur se pose la question des raisons du départ précipité des Juifs de Sousse en particulier et de Tunisie en général : l’occidentalisation amorcée depuis la colonisation, voire avant, la crainte d’un retour du statut infâme de la dhimma, l’attrait d’Israël et, finalement le sentiment diffus de ne plus être chez soi à force de tracasseries (3). Claire Rubinstein-Cohen évoque un peu trop rapidement la dissolution officielle par les autorités tunisiennes de la communauté juive organisée (4), celle des tribunaux rabbiniques et, sauf erreur, fait l’impasse sur l’affaire douloureuse de l’expropriation du cimetière juif et la construction, sur les ossements même des ancêtres des Juifs de Tunisie, d’un jardin public comme sur la destruction, pour raisons de salubrité publique de la Grande Synagogue de la Hara fondée au Moyen Âge.

 

On regrettera que l’auteur ne fasse aucune mention du témoignage et des écrits du dernier président de la communauté juive, Maître Charles Haddad et de ses rencontres difficiles avec le président Habib Bourguiba.

 

Reste un travail, redisons-le, de qualité qui mérite de figurer dans tous les foyers tunes et dans toutes les bibliothèques.

 

Jean-Pierre Allali

 

(1) Éditions Édilivre. Mai 2011. 446 pages - grand format. 30 euros.

(2). Éditions Plumes cerfs volants, 2006. Réédité en 2010. Voir nos recensions dans la Newsletter du 15-11-2007 et du 16-03-2011.

(3). Ainsi, Guy Sitbon, du Nouvel Observateur qui raconte : « Mon oncle, qui était un juriste éminent, avait renoncé à sa carrière d’avocat pour se mettre au service de l’État tunisien ; il n’avait pas le droit de signer ses travaux. Et puis les mesures discriminatoires à son égard se sont multipliées, comme l’installation de ventilateurs dans tous les bureaux sauf le sien. Finalement ce patriote a cédé, il a émigré » (L’Arabe et le Juif. Éditions Plon, 2004) ou encore l’historien de la Tunisie, Paul Sebag, pour lequel « En dépit des textes législatifs qui accordaient à tous les nationaux les mêmes droits et les mêmes devoirs, les Tunisiens de confession israélite eurent à souffrir d’un certain nombre de discriminations de fait…Toutes les fois qu’il s’agissait de pourvoir à un poste de direction, seules les candidatures musulmanes étaient prises en compte » (Histoire des Juifs de Tunisie. Éditions L’Harmattan, 1992). Quant au docteur André Nahum, il n’y va pas par quatre chemins et explique : « L’habileté du pouvoir fut de se débarrasser des Juifs en faisant croire qu’il faisait tout pour les garder. Officiellement on voulait nous retenir et on nous poussait délicatement vers la sortie. En réalité tout concourait à nous faire partir » (Feuilles d’exil. Éditions Café Noir, 2004).

(4) De manière laconique et cynique, les Juifs sont avertis que : « Au nom du peuple, nous Habib Bourguiba, Président de la République Tunisienne…Le Conseil de la Communauté Israélite de Tunis est dissous » (Loi n°58-78. Journal Officiel de la République Tunisienne du 11 juillet 1958). Le Tribunal Rabbinique avait été dissous, lui, le 1er janvier 1957.

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