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Dans les ruines de Carthage

 

Dans les ruines de Carthage

Par Tristan Savin

Après Homère, Flaubert, Maupassant ou Gide ont exalté le golfe de Tunis, foyer de l'épopée et de l'histoire antiques.

Au cours de son Odyssée, Ulysse accoste la "terre des Lotophages". Les autochtones ont la particularité de se nourrir d'une plante magique, douce comme le miel, à laquelle succombent les compagnons du héros : "Dès qu'ils eurent mangé le doux lotos, ils ne songèrent plus ni à leur message, ni au retour ; mais, pleins d'oubli, ils voulaient rester avec les Lotophages..." Les historiens ont localisé le pays enchanteur sur l'île de Djerba. Depuis Homère, la terre tunisienne fascine les amateurs de civilisations antiques. 

Flaubert se plonge dans l'histoire carthaginoise afin d'oublier le procès de Madame Bovary. Il séjourne à Tunis au printemps 1858 et s'imprègne de l'atmosphère des ruines pour écrire son roman oriental... "Serais-je venu à Carthage sans Salammbô ?, s'interroge aujourd'hui Daniel Rondeau. Et sans cette phrase qui ouvre le roman de Gustave Flaubert, ces quelques mots tellement agréables à prononcer et dont je me suis souvent bercé : "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar."" (Carthage, p. 153.) 

Flaubert n'est pas le premier. Fin 1846, Alexandre Dumas quitte Cadix à destination des côtes africaines, accompagné de son fils Alexandre et de son "nègre" Auguste Maquet. Débarqués à Tunis à la nuit tombante, ils sont accueillis par une meute de chiens à tête de loup. "Nous nous engouffrâmes sous la voûte sombre et tortueuse qui sert d'entrée à Tunis." (Le Véloce, p. 44.) Dumas père compare les femmes mauresques à "des spectres" mais les yeux en amande d'une jolie Juive lui font apercevoir les charmes orientaux. Il se laisse peu à peu envoûter par les lieux : "Un magnifique palmier empanachait une petite mosquée. [...] A droite, s'étendait le grand cercle de montagnes qui ferme la baie de Tunis ; à gauche se prolongeait le cap de Carthage ; cette fois, je l'avoue, j'oubliais encore plus complètement Paris pour Tunis." 

En 1888, Guy de Maupassant fuit Paris à son tour et retrouve "l'aqueduc de Carthage dont parle Flaubert dans Salammbô. Puis on côtoie un beau village, on suit un lac éblouissant et on découvre les murs de Tunis." (La vie errante, p. 137.) La vieille cité est un ravissement : "Où sommes-nous ? Sur une terre arabe ou dans la capitale éblouissante d'Arlequin, d'un Arlequin très artiste, ami des peintres, coloriste inimitable qui s'est amusé à costumer son peuple avec une fantaisie étourdissante." 

Pour Paul Morand, la beauté de la Tunisie, "c'est Tozeur et les oasis ; ce sont les pêcheries d'éponges du golfe de Sfax ou la désolation mystique de Kairouan, ou le pittoresque bleu et blanc de Sidi Bou-Saïd et la chute de ses falaises sanglantes dans la mer, au cap Carthage avec son phare implacable sur les flots." (Méditerranée, mer des surprises, p. 142.) 

Quant à André Gide, il s'exclame à sa première visite : "Le fabuleux Orient nous est tranquillement apparu dans sa pacifique dorure." (Amyntas) A Sousse, il découvre son homosexualité dans les bras d'un jeune Tunisien. Il reviendra souvent arpenter ces "terres de volupté". 

Robert Dessaix est parti sur les traces de "l' immoraliste" : "Une partie de la séduction exercée sur le jeune Gide, son Virgile en poche, par cette partie de l'Afrique du Nord devait venir de cette sensation de se trouver transporté dans un monde qu'il aimait tant. Tunis, c'était la Rome antique ramenée à la vie, et il suffisait d'acheter un billet et de prendre le bateau pour y aller, comme par magie." (Arabesques, p. 187.) 

Voyageur moderne, Michel Tournier arrive par les airs : "On s'avance sur la passerelle et on est enveloppé par un souffle de lance-flammes. [...] Les voyageurs s'élancent tels les habitants de Sodome fuyant sous la pluie du feu biblique." (Voyages et paysages, p. 164.) Puis le climat s'adoucit pour rappeler l'Eden : "Le vent du soir se lève. Les baobabs palabrent entre eux, et les lauriers-roses rament dans le vide." 

Maurice Genevoix ne le contredit point : "Qu'il fait bon, radieusement doux et bon sur les dunes du cap Gammarth ! On nous dit que Mme de Beauvoir, allongée au soleil sur ces mêmes grèves où nous sommes, y a fait dans un demi-sommeil un rêve existentialiste. [...] Voici, à Sidi bou Saïd, l'escalier du petit café maure ; la cour à poterne ogivale à nos pieds derrière les pics des aloès." (Ecrivain-voyageur, p. 810.) Et l'académicien de conclure : "Rien n'a changé : les mêmes buveurs devant les mêmes petites tasses, le même bourricot qui s'émouche au fond de la cour délabrée."  

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