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Ma journée dans les bus de Jérusalem

Les femmes, confinées aux moins bonnes places, à l’arrière du bus

 

Ma journée dans les bus de Jérusalem (info # 01180) [Exclusivité]

Par Sandra Ores©Metula News Agency

 

Aujourd’hui, en Israël, dans une démocratie moderne, certaines femmes subissent quotidiennement des atteintes à leur dignité, du fait de leur statut de femme. C’est le cas dans certains bus publics, reliant des quartiers juifs ultra-orthodoxes. Ne sont concernées qu’une dizaine de lignes à travers le pays (parmi une centaine dans la seule capitale) ; il convient donc de ne pas exagérer la gravité du phénomène, ni de tirer des conclusions globales sur la démocratie en Israël, qui n’ont strictement aucune relation causale avec la problématique envisagée.

 

Il ne faut pas non plus tomber dans l’extrême opposé, qui consisterait à la passer sous silence, ou à la naniser, au risque de la voir prendre de l’ampleur et contaminer d’autres espaces préservés de la société.

 

Dans les bus concernés, les hommes et les femmes voyagent séparément, les hommes – chose surprenante ? – se réservant les meilleures places, les plus espacées et confortables, à l’avant, confinant la gent féminine, telle dans un poulailler, parquée à l’arrière des véhicules.

 

Ces pratiques de séparation des genres reposent à l’origine sur une déviance extrémiste dans l’interprétation d’une loi de la Torah, stipulant qu’un homme ne doit pas toucher une femme, à moins qu’il ne s’agisse de la sienne. La réalité de l’observance de ce précepte, poussée à l’excès, conduit à perpétrer une absurdité, faisant place à l’obnubilation, dans l’oubli du sens commun.

 

Cette semaine, pour en avoir le cœur net – vous commencez à me connaître, je préfère me rendre là où les événements se produisent – j’ai passé toute une journée à voyager dans Jérusalem, à bord de ces bus où les hommes chapeautés, vêtus de noir, siègent à l’avant, et les femmes à l’arrière.

 

Il s’agit de véhicules publics, gérés par la plus grande compagnie israélienne d’autobus, Egged. Sillonnant ces quartiers d’un bus à un autre, je brave les coutumes de ces gens, et prends systématiquement place à l’avant du bus ; le plus fréquemment assise à l’une des quatre places se faisant face, en carré.

 

Pendant la totalité de mon incursion, j’ai joui de beaucoup d’espace, personne ne venant prendre place à mes côtés.

 

Lorsque je saisis une place « trop proche » de l’un de ces messieurs, j’occasionne un lourd silence gêné, me fustigeant alentour ; après quelques secondes d’hésitation, pendant lesquelles le cerveau du mâle d’en face cherche à prendre une décision rapide, genre : « que dois-je faire ? », l’homme se lève invariablement, s’éloignant le plus possible de ma personne.

 

Celui-là, un rang derrière, se cache derrière le feuillet qu’il gardait dans sa main, cet autre, ne tenant plus, se retourne vers le dossier de son siège, se levant sur ses deux jambes, et me présente son dos pendant les vingt minutes de trajet commun ; son voisin a pivoté de 90° afin de libérer son regard de mon apparence sacrilège.

 

Certains choisissent de rester debout, en dépit des sièges libres, et d’accuser les à-coups de la conduite, plutôt que de poser leur séant sur le siège dans ma proximité. Même les sièges d’en face demeurent désespérément vides, par la seule raison de ma présence.

 

Pour eux, je ne suis pas à ma place, et ce, sans le moindre doute. Si quelques hommes oseront me regarder de travers – que fais-je donc parmi les hommes ? – d’autres m’évinceront de leur champ de vision, comme si je n’existais pas.

 

Leur comportement à mon endroit s’avère unanime – sans la moindre exception, une journée durant, ils m’éviteront. Je dérange. Je me sens, pour la première fois, réduite à mon seul genre. Etrangeté ! Plus rien d’autre ne me définit : je suis un corps femelle.

 

Plus un être humain me déplaçant dans une ville, d’un point A à un point B, mais une créature susceptible de provoquer des désirs charnels interdits, s’introduisant dans l’esprit de mes compagnons de route. Vous parlez d’un sentiment.

 

Je suis habillée de la tête aux pieds, à la manière d’une religieuse. Leur attitude suscite en moi un bref instant de culpabilité. Serais-je provocatrice ? Aurais-je bravé un interdit sacré ? Je balaye cependant rapidement ce doute de la manche de mon manteau, me rappelant que je me trouve dans un autobus, et non dans une synagogue, en dépit des apparences trompeuses.

 

S’agit-il de la volonté de respecter la loi juive de la manière la plus stricte et assidue possible ? Chacun, certes, reste libre de ses croyances. Sauf lorsque cet exercice se pratique aux dépens d’autrui, à mes dépens et à celui de toutes mes sœurs du sexe faible.

 

Car je n’ai jamais rien connu de moins commode et de plus humiliant que d’avoir à monter exclusivement par l’arrière de l’engin, pour aller s’affranchir du paiement du ticket, en traversant – comment faire autrement ? – les rangs des mâles dominants, puis de devoir, à nouveau mais en sens inverse, traverser le véhicule en mouvement.

 

Le premier bus dans lequel fut instaurée la séparation des genres en Israël fut mis en service il y a quatorze ans, à Jérusalem. C’étaient alors des lignes privées, gérées par des communautés harédi (ultraorthodoxes) ; elles se développèrent à travers le pays.

 

Les compagnies au déploiement national, Egged et Dan, instituèrent elles aussi des lignes « mehadrin », c’est-à-dire des lignes où l’on préconisait la séparation entre les genres, reliant différentes communautés harédi.

 

Entre 1997 et 2007, ces lignes ont proliféré, jusqu’à ce que des cas de violences verbales et physiques, infligées à celles qui refusaient de se plier à ces règles ségrégationnistes, ne se multiplient et ne soient révélés au grand jour.

 

Au cours de ma journée dans les autobus - je n’ai aucune intention de mentir -, personne ne m’a insultée ni ne m’a couverte de crachats. Une « chance », que n’ont pas toutes les femmes refusant de s’asseoir dans la section qui leur estréservée.

 

Les témoignages de femmes humiliées sont nombreux, à l’instar de celui de l’écrivaine orthodoxe Naomi Ragen, sommée sans égard de rejoindre le fond du bus. Elle soumit alors une pétition à la Cour Suprême de Justice israélienne, avec quatre autres femmes, par le biais de l’association IRAC, Israel Religious Action Center (le Centre Religieux Israélien d’Action), contre Egged et contre le ministère des Transports.

 

A la suite d’une longue bataille judiciaire, la Cour Suprême de Justice, en janvier 2011, déclara illégale la ségrégation par le genre imposée sur des lignes publiques.

 

J’ai observé que certaines femmes cherchaient à monter directement par la porte arrière du bus ; d’autres me regarderont d’un air dubitatif, relativement à la place que j’occupe, sous leur foulard ou leur béret en crochet, quand je n’écoperai pas d’un regard carrément malveillant.

 

La jeune étudiante Moriah, une activiste de l’IRAC, se sent parfois seule dans son combat. Elle qui emprunte régulièrement ces lignes, en prenant soin de s’asseoir toujours à l’avant du bus, afin d’encourager les autres femmes à rejeter ces principes sexistes, moyenâgeux, et issus d’une déviance obsessionnelle du judaïsme. Elle a parfois l’impression de se battre pour changer une situation que ses congénères elles-mêmes ne souhaitent pas voir évoluer.

 

Elle rapporte toutefois que son organisation, ou encore l’association « Take a seat » (Prends un siège), créée par une étudiante jérusalémite après avoir été verbalement agressée dans un bus, reçoivent de nombreux appels de soutien, de la part de femmes des milieux religieux.

 

Le 6 janvier dernier, dans la ville de Beit Shemesh – une ville accueillant une forte population harédi, située à vingtaine de kilomètres de Jérusalem –, un groupe de 250 femmes, de tous âges et de tous degrés de religiosité, s’est rassemblé sur la place centrale de la conurbation. Elles se sont livrées à l’interprétation d’uneflash mob– rassemblement d’un groupe de personnes dans un lieu public afin d’y effectuer des actions convenues d’avance, avant de se disperser rapidement - effectuant une chorégraphie sur la musique de Queen « Don’t Stop Me Now » (Ne m’arrête pas maintenant). Cette manifestation publique avait pour but de protester contre les discriminations subies par les femmes sous des prétextes religieux.

 

Elle faisait suite au rassemblement de milliers de personnes, dans la même ville, qui désiraient se porter en faux contre l’exclusion des femmes de la place publique. A Beit Shemesh, un panneau avait été installé dans un quartier religieux, stipulant l’affectation des trottoirs par genre : un trottoir pour les hommes, l’autre qu’ils nous attribuaient.

 

Des incidents se poursuivant parallèlement du fait de la même communauté orthodoxe, comme l’agression d’une petite fille de huit ans, victime de crachats sur le chemin de l’école, car, selon ses agresseurs, elle n’était pas vêtue assez modestement.

 

L’empiètement de la religion sur le domaine public, s’illustrant par une sévère ségrégation des femmes, participe malheureusement d’une tendance s’étant récemment amplifiée en Israël. Des soldats religieux quittent des cérémonies de l’armée impliquant des femmes qui chantent – avec la bénédiction de rabbins, dont un a d’ailleurs déclaré, la semaine dernière, qu’il était préférable que ces jeunes hommes choisissent la mort, plutôt que d’assister à une telle représentation.

 

Un autre rabbin, proche de la petite minorité des écoles talmudiques (Yeshivah) dont les élèves acceptent de ne pas se soustraire au service militaire obligatoire, a affirmé, ce mercredi, "que si on interdisait (ce qui est le cas) aux soldats pratiquants de quitter les cérémonies durant lesquelles des femmes chantent, il valait mieux que tous les religieux ne fassent pas l’armée".

 

Des cas sont par ailleurs signalés, de soldats refusant de se soumettre à des ordres qui leur sont intimés par des officiers femmes.

 

Aucun doute sensé ne peut exister quant à l’impossibilité de gérer une armée à la carte, dans laquelle il faudrait s’occuper des desiderata de chaque catégorie d’appelés, plutôt que de guerroyer contre nos nombreux ennemis. A mon sens, il faut aller dans le sens de ce rabbin, et refuser d’enrôler les religieux (pas tous) ne reconnaissant pas à l’autre sexe l’égalité absolue et indiscutable des droits.

 

Mais il faudrait aussi, par souci d’équité, priver tous ceux qui refusent de servir dans Tsahal, telle que l’Armée israélienne se présente depuis sa création – autrement que pour des raisons d’aptitude ou parce qu’ils n’ont pas été appelés à servir – de tout subside gouvernemental quel qu’il soit.

 

Des phénomènes de séparation forcée des sexes se déroulent également dans des dispensaires, parmi lesquels des salles d’attente attribuées à chaque genre sont instaurées. Les images de femmes dans les publicités disparaissent par ailleurs graduellement des murs de Jérusalem.

 

Ces pratiques sexistes ne rassemblent toutefois pas l’intégralité des populations religieuses israéliennes. Les manifestations récentes à Beit Shemesh l’ont clairement démontré, tandis que des rabbins responsables condamnent sans appel les pratiques ségrégationnistes.

 

Si votre voisin de palier est incapable de dominer ses pulsions lorsqu’il vous croise dans l’escalier, il sera placé dans un hôpital psychiatrique ou en prison. Ce que désire une frange non négligeable de la communauté orthodoxe – je vous rappelle qu’aucun homme n’a accepté de s’asseoir à mes côtés durant toute la journée que j’ai passée dans les bus – consiste à vous empêcher de sortir de chez vous, et de partager avec elle l’espace vital. Le pavé aux obsédés !

 

Jusqu’à présent, et depuis l’époque de David Ben Gourion, les relations entre laïcs et orthodoxes, en Israël, étaient basées sur un statuquo, respecté par les deux communautés. Ce que l’on note dernièrement, est qu’une partie du monde religieux ne se contente plus de ce statuquo et tente d’imposer sa vision du monde à la rue. Une autre portion de la sphère orthodoxe est tentée par la même démarche, alors qu’une troisième la rejette totalement et affirme vouloir perpétuer le statuquo.

 

Dans ces conditions, il appartient à l’Etat d’imposer également la loi à toutes les composantes de la société. Reste que dans la conjoncture politique interne dans laquelle se débat l’Etat hébreu, tous les équilibres sont instables, et la gouvernance est difficile. Reste aussi qu’il n’existe pas d’alternative à une démocratie forte sachant faire respecter ses règles. Car une société dans laquelle l’application de la loi serait laissée aux administrés irait vers son démembrement.

 

Malheureusement, une portion des Juifs orthodoxes, y compris leurs guides spirituels, démontre, jour après jour, qu’elle n’a rien à faire de ces considérations.

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Génial votre site !

Intéressant tout ça ! comme quoi on ne connait pas les moeurs et coutumes des autres pays ! je pense à notre chère RIKA Z. ! que pense-t-elle de tout cela ?

Une belle chanson venant d'elle et on oublie tout ou presque !

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