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Annulation du concert d'un chanteur juif américain : la volte-face d'un festival espagnol

Le chanteur juif-américain Matisyahu, le 28 juillet, lors d'un concert à Berlin. (Photo Tobias Schwarz. AFP)

 

 

Le concert de Matisyahu a été annulé parce qu'il refusait de se prononcer sur le droit des Palestiniens à un Etat indépendant, puis reprogrammé suite à la polémique

Le festival de reggae Rototom Sunsplash, dont la 22e édition se tient au nord de Valence, a annoncé l’annulation du concert du chanteur juif américain Matisyahu, prévu le 22 août. La décision a été prise samedi par les organisateurs, «face à l’indisponibilité de l’artiste au moment de se prononcer clairement contre la guerre et sur le droit du peuple palestinien à disposer de son propre Etat», ainsi qu’ils l’écrivent dans un communiqué, rappelant par ailleurs les «innombrables occasions» où le festival a montré«son sentiment par rapport à la Palestine». Le ministère des Affaires étrangères espagnol, l’ambassade d’Israël et des organisations juives ont publiquement critiqué la décision des organisateurs du festival. Face à l'ampleur de la polémique, le Rototom a déclaré ce matin que Matisyahu faisait à nouveau partie du programme.

Son directeur, Filippo Giunta, avait, selon El País, insisté jeudi dernier pour que le chanteur fasse une «déclaration signée ou une vidéo» disant de manière claire si, d’après lui, les Palestiniens avaient le droit à un Etat. La filiale locale du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) de Valence avait entamé quelques jours auparavant une campagne contre Matisyahu, qui avait abouti au boycott du festival par 5 des 250 artistes programmés. BDS Valence accusait le chanteur d’avoir participé à des festivals prosionistes et de s’être publiquement déclaré «amoureux d’Israël». Dans un communiqué de lundi, qui félicite l’organisation du festival pour sa décision, BDS Valence affirme que le chanteur a justifié des«assassinats israéliens comme ceux de la flotille en 2010» : «Quand on utilise sa position d’artiste pour rendre publiques des idéologies déterminées, il ne s’agit plus de l’idéologie individuelle et privée du sujet, sinon de sa diffusion et de sa promotion.» Le groupe Pallasos en rebeldía, partisan du boycott, a expliqué sur son site que «son intuition [lui] di[sai]t que la campagne avait raison sur le sionisme du chanteur». Son porte-parole, Iván Prado, a tout de même admis qu’une erreur sur l’opinion de Matisyahu était possible. Sur les réseaux sociaux, on ne manque pas de qualifier le chanteur de «sioniste» ou de rappeler qu’il a été membre de la communauté hassidique Loubavitch jusqu’en 2011. Dans le camp adverse, on s’insurge contre l’«antisémitisme de BDS».

Le chanteur américain a réagi lundi sur Facebook : «Je soutiens la paix et la compassion pour tous les peuples. Ma musique parle d’elle-même, et je n’y mets jamais de politique. La musique a le pouvoir de transcender l’intellect, les idées, la politique, et peut unir les peuples dans ce processus. Le festival n’a cessé d’insister pour que je précise mes opinions personnelles […]. Je considère sincèrement qu’il est consternant et offensant qu’en tant que seul artiste juif-américain programmé au festival, ils aient tenté de me forcer à émettre des affirmations de type politique […]. En dépit de la race, la croyance, le pays, l’héritage culturel, mon objectif est de jouer de la musique pour tous.» «A-t-on demandé à d’autres artistes programmés au festival de se positionner politiquement pour pouvoir jouer ?» demande-t-il. La Fédération des communautés juives d’Espagne compte, selon El País,porter plainte contre les organisateurs du festival en vertu de l’article 510 du code pénal. «Si on t’invite à une fête privée, tu peux te réserver le droit d’admission. Mais si on t’invite à un événement dont l’organisation est financée par des fonds publics, c’est une tout autre histoire», rappelle son président, Isaac Querub.

En quelques jours, l’affaire a pris de l’ampleur. Le Congrès juif mondial et le Comité juif américain ont condamné la décision de Rototom. Le président du Congrès juif a même demandé aux autorités espagnoles de faire pression pour que la participation du musicien soit maintenue, ou que le financement public soit retiré. L’ambassade d’Israël à Madrid a déclaré «condamner catégoriquement l’annulation du concert de Matisyahu, dont les motivations relèvent de la censure idéologique, teintée d’antisémitisme». Le ministère des Affaires étrangères espagnol a également réagi : «L’Espagne réitère son rejet des campagnes de boycott à l’encontre d’Israël, de même que sa position ferme en faveur d’une solution négociée au conflit sur la base d’un Etat palestinien indépendant qui cohabite dans la paix et la prospérité avec Israël.»

Dans un communiqué publié mercredi matin, les organisateurs du festival Rototom Sunsplash ont adressé leurs excuses à Matisyahu et l'ont invité à venir jouer sur leur scène le samedi 22 août, à la date initialement prévue. Ils disent reconnaître leur «erreur», «fruit du boycott et de la campagne de pressions, de menaces et d'intimidations de la part de BDS Valence. Penser que le déroulement normal du festival en serait gravement altéré a empêché que la situation soit gérée avec lucidité». Le musicien, qui se produit ce soir à Francfort, ne s'est pas encore prononcé sur sa reprogrammation. 

Cet été, les agendas culturels sont particulièrement marqués par les polémiques de boycott politique : un article de Libération faisait le point le 12 juin sur les campagnes orchestrées par BDS pour amener les artistes à boycotter les festivals organisés en Israël, ou pour les dissuader d’accepter des programmations aux côtés de personnalités qu’ils considèrent comme«sionistes».

Laure ANDRILLON

 

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