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Rony Brauman et l'intolérance au signe juif

Rony Brauman et l'intolérance au signe juif

 

 - Chercheure au CNRS (Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité)

 

 - Professeur invité à l’institut d’étude de l’antisémitisme contemporain de l’Université d’Indiana aux Etats-Unis, chercheur au CNRS

 

 - Sociologue, spécialiste des rapports entre générations, du vieillissement et des migrations.

 

 

Imputer la responsabilité d'une agression à la victime n'est pas un phénomène nouveau, mais venant du directeur de recherches de la Fondation Médecins sans Frontières, c'est d'autant plus inacceptable

Rony Brauman déclare, dans une interview sur Europe 1, cinq jours après l'attaque avec une machette contre un homme qui portait la kippa devant une école juive à Marseille, qu'il fallait s'interroger, par rapport à cet acte (où l'agresseur avait l'intention de tuer), sur la signification du port de la kippa : pour lui, cela ne signifie pas le respect envers Dieu d'un Juif croyant, mais ce serait un "signe d'allégeance à l'état d'Israël". Cette interprétation politique d'une tradition religieuse millénaire, bien antérieure à la naissance de l'état d'Israël, est tout simplement stupide et ne repose sur rien. Elle n'a en réalité qu'un seul but : excuser la haine anti-juive voire l'alimenter en désignant les vrais coupables: le Juif, ...et Israël.

Brauman n'hésite pas à faire l'amalgame entre des Français juifs qui osent se montrer juifs en portant une kippa dans la rue et le soutien aux gouvernements de l'état d'Israël. Or jusqu'à preuve du contraire, les Juifs en France aujourd'hui ne demandent rien d'autre que le respect de la loi républicaine, à laquelle le port de la kippa ne contrevient en rien. La discussion devrait s'arrêter ici. Mais Brauman confond, comme beaucoup d'autres, l'espace public avec l'espace de la rue qui est l'espace de la société civile au même titre qu'une plage, un café ou un square. Si les bistrots devaient se soumettre aux normes de la neutralité, on serait dans une société totalitaire. Et il est évident qu'une femme voilée qui se ferait agresser pour cette raison devrait être défendue par tous les démocrates, que l'on apprécie ou non le port du foulard. Sous-entendre que les Juifs en usant de leurs libertés garanties par la loi sont des privilégiés, réitère la structure même de l'antisémitisme anti-républicain de la IIIe République, suivant laquelle la République elle-même, en instituant l'égalité citoyenne, était juive. Evoquer à ce sujet l'histoire de deux poids deux mesures n'est qu'une reformulation du thème antisémite des privilèges juifs.

Brauman n'hésite pas non plus à suggérer un parallèle choquant et inattendu, lorsqu'il se demande si on accepterait ceux qui font allégeance à l'état islamique !... autrement dit, pour notre Médecin sans Fontières, Israël et tous ceux qui s'identifient comme Juifs, seraient comparables à l'état islamique (Daesh) et aux islamistes qui le soutiennent.

Ainsi on voit tomber le masque de l'antisionisme : toute solidarité avec les Juifs, comme celle qu'ont exprimée les hommes politiques non-juifs qui ont porté la kippa pendant quelques heures, est interprétée comme un acte répréhensible car signe d'allégeance avec l'état d'Israël, un état diabolisé, objet de la détestation de Rony Brauman.

Face à un tel discours de haine ouverte à l'égard des Français Juifs et face à la passivité du journaliste qui mène l'entretien, on reste sidéré.

Comment une radio de grande écoute peut-elle diffuser, sans les critiquer ou au moins les discuter, des idées qu'il faut bien appeler antisémites ? Car c'est bien d'antisémitisme dont il s'agit, cette idéologie qui arme le bras des jeunes qui passent à l'acte, et accomplissent des crimes racistes et antisémites. Les responsables de ces crimes sont à la fois ceux qui les perpétuent et ceux qui diffusent une telle haine ciblant des individus en raison de leur religion, ainsi que les journalistes complaisants ou passifs qui en sont les relais. Les 'élites' ou considérées comme telles ont leur part de responsabilité dans la vague menaçante d'antisémitisme qui s'accroit dangereusement en France depuis plus de 10 ans

Si l'antisémitisme du XXIe siècle a été qualifié de "nouvel antisémitisme", c'est principalement du fait de sa dimension antisioniste : la remise en question de la légitimité de l'état d'Israël, seul état au monde dont on discute le droit à exister, relève sans aucun doute de l'antisémitisme. Mais au-delà de cette dimension, cet antisémitisme se situe dans la continuité de celui qui a été développé par le mouvement nazi, qui désirait la mort des Juifs. Les agressions antisémites représentent aujourd'hui 51 % des actes racistes et antisémites commis sur le territoire français, alors que les Français juifs représentent moins de 1 % de la population (rapport CNCDH, 2014). Chez Rony Brauman, sa haine d'Israël l'amène à considérer toute personne qui s'assume Juive, toute personne qui défend "les Juifs", comme a priori suspecte. Cette haine est d'ordre génocidaire car la complaisance à l'égard du crime odieux de Marseille revient à une incitation à tuer, à tuer des Juifs.

Ce même antisémitisme s'exprime sans frein aujourd'hui dans les slogans 'mort aux Juifs', proférés et exhibés dans leurs banderoles par les manifestants pro-palestiniens, sans que les représentants politiques d'extrême gauche qui défilent dans ces manifestations, en soient particulièrement gênés.

Certains pourraient nous opposer le fait que Rony Brauman aurait des origines juives. Peu nous chaut, nous n'en savons rien ; mais même si cela était vrai, avoir une ascendance juive n'immunise pas contre la haine à l'égard des Juifs. Il y a ceux qui jouent le jeu des "antisémites modérés", en divisant les Juifs en 'bons' et 'mauvais' et en espérant en vain apaiser les antisémites avec leur condamnation d'Israël. Mais il y a aussi le rejet et la haine de ses propres origines qui peut générer un sentiment antisémite, dans un mécanisme d'intériorisation de l'hostilité du milieu à l'égard de cette filiation.

L'exemple fameux du grand inquisiteur espagnol Torquemada en témoigne. "Nouveau chrétien", le Grand Inquisiteur était le descendant d'une lignée de Juifs. Il avait épousé la haine de son pays contre sa propre lignée et poussé cette haine à son paroxysme, en menant une guerre sans merci aux Juifs d'Espagne jusqu'à leur destruction totale ou leur expulsion du pays où ils étaient installés depuis des siècles. On peut imaginer que ses origines ont représenté une contradiction interne qui lui était insupportable, et qu'en combattant les Juifs, il combattait ce qui restait de juif en lui ; en s'acharnant à supprimer toute existence juive en Espagne, il supprimait aussi sa propre origine, devenue intolérable à ses yeux.

Rony Brauman serait-il un petit Torquemada en devenir?

Mais quelle que soit l'appartenance dont on se revendique ou non, il y a des idéologies criminelles que rien, ni aucun malaise identitaire, ne peut excuser ni servir d'alibi. En ce domaine, seul compte le discours public, et ses effets incontrôlables sur des individus enclins au crime, des individus qui malheureusement existent dans toute société et sont probablement plus nombreux dans nos sociétés en mutation accélérée.

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