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Brexit : une catastrophe ?

Brexit : une catastrophe ?(info # 011407/16)[Analyse]

Par Llewellyn Brown © MetulaNewsAgency

 

Le vote du référendum de la Grande Bretagne portant sur son maintien ou non dans l’Union Européenne a provoqué bien des remous, et continue à faire couler de l’encre. Pour l’establishment politico-journalistique, le « non » retentissant de la population britannique a constitué un désastre inouï, et l’on n’a pas lésiné sur les qualificatifs pour dénoncer cette décision malvenue.

 

Le peuple

 

L’un des premiers fautifs dénoncés régulièrement dans les media fut le peuple. Selon les opinions exprimées par l’establishment, les classes populaires seraient foncièrement inaptes à prendre des décisions concernant leur destin. Faisant écho à ce mépris, Alain Minc a prétendu que le résultat de cette consultation représentait « la victoire des gens peu formés sur les gens éduqués ». Apparemment, il eût souhaité que chacun fût obligé de présenter des diplômes appropriés pour recevoir sa carte d’électeur.

 

Le terme « populisme » est devenu l’antienne des gens de gauche, et nous pouvons nous interroger quant aux préjugés que ce terme recouvre. Car enfin, ceux qui, autrefois, faisaient profession de défendre le peuple, ont lâché celui-ci au profit des nouvelles victimes de la société moderne, désignées par les euphémismes « diversité », et « chances pour la France ». Quant aux gens du peuple, puisqu’ils jouissent désormais des produits du capitalisme au même titre que les anciens soixante-huitards, ils sont qualifiés de « beaufs » ; ils sont jugés incultes, incapables d’éprouver des sentiments beaux et élevés à l’égard de l’Autre. Bref, le peuple étant pétri de mauvais penchants, l’élite politicienne estime de son devoir de le brider et de le ramener dans le droit chemin.

 

Selon cette optique, la démocratie semblerait révéler de sévères limites, n’étant un système de gouvernement convenable que si le peuple vote en conformité avec les directives de ceux qui prétendent savoir. Ainsi, au sujet d’un éventuel retrait français de l’Europe, Alain Juppé déclare : « Organiser un référendum aujourd’hui en France serait totalement irresponsable ». Il serait sans doute du même avis que Giscard d’Estaing, qui avait affirmé, en 2005, au sujet d’un référendum similaire : « C’est une bonne idée d’avoir choisi le référendum, à condition que la réponse soit oui ». En somme, le peuple doit se taire, fermer les yeux, et se laisser gouverner par ses élites prétendument éclairées : ceux qui savent ce dont la Nation a besoin.

 

Il est loisible de discerner, derrière ces jugements plutôt irrationnels, une certaine rancune inspirée par la conscience d’avoir manqué un rendez-vous crucial. En effet, le constat s’impose : le peuple s’est présenté aux urnes en masse, contrairement à ces vertueux qui n’ont pas pris la peine de sortir de chez eux !

 

L’histoire se répète

 

Cette attitude n’est pas nouvelle pourtant : l’irrespect à l’égard du sentiment du peuple semble être une constante depuis que François Hollande est au pouvoir. En effet, l’attitude des élites auto-proclamées est comparable à celle manifestée à l’égard de la « Manif’ pour tous », mouvement qui s’est mobilisé contre le mariage homosexuel en novembre 2012. Quand le gouvernement voulait à tout prix faire passer cette loi, les bien-pensants dénonçaient déjà l’obscurantisme du peuple, la prétendue intolérance de ce dernier à l’égard des homosexuels, et son repli sur des valeurs réactionnaires.

 

Pour réprimer l’expression massive du rejet de ce projet de loi, les forces policières avaient eu recours à une violence démesurée, notamment contre des personnes âgées et des enfants, tous pacifiques ; et quiconque arborait publiquement le t-shirt rose revêtu de l’emblème du mouvement risquait de faire un tour au poste de police. Les forces de l’ordre allaient jusqu’à falsifier les photographies aériennes de la manifestation, gommant soigneusement certains endroits pour faire croire que la participation était moins nombreuse qu’elle ne le fut en réalité.

 

Certes, pour condamner cette attitude populaire spécifique à la France, dans ce cas précis, on a remarqué qu’une législation similaire était passée, sans susciter de réelle opposition dans d’autres pays européens. Par ailleurs, on pouvait s’étonner de l’étrange insistance du gouvernement à promulguer une loi qui ne semblait apporter rien de nouveau par comparaison avec le PACS, qui accordait déjà aux homosexuels des avantages comparables à ceux offerts par le mariage. Or justement, personne à ma connaissance, ne s’est interrogé quant aux raisons motivant cette opposition massive. Il eût fallu au moins émettre l’hypothèse que celle-ci trahissait la présence d’un profond malaise dans notre société. Pour en amorcer la réflexion – et sans émettre d’assertion ferme ou tranchante –, on peut penser qu’elle n’était pas étrangère au délitement qui frappe la qualité de vie dans notre pays, à ces phénomènes qui touchent de nombreux habitants en milieu urbain : le déclin du lien en société, l’immigration massive et incontrôlée qui conduit à l’islamisation de nombreux quartiers.

 

L’immigration

 

Si l’on a décrété que le sentiment « populiste » était responsable du résultat éclatant du référendum, on a considéré que le repli identitaire, le fascisme et le racisme donnaient son contenu à ce nivellement par le bas. Force est de constater, cependant, que ces termes sont devenus la tarte à la crème des discours politiques aujourd’hui, puisqu’ils équivalent au qualificatif simpliste “méchant”.

 

En effet, devant l’immigration de peuplement que nous subissons – en l’absence de tout processus démocratique sur la question –, il est légitime de s’interroger et de réclamer une discussion ouverte. Car enfin, tout sujet réellement politique mérite que le peuple dans son ensemble soit invité à en débattre, au lieu qu’on le lui confisque arbitrairement sous des prétextes faussement moraux. En l’espèce, il s’agit pour le peuple de s’exprimer sur l’opportunité et les modalités de l’immigration, afin de déterminer, avec toute la lucidité possible, la réponse à la question : dans quelle société désirons-nous vivre ?

 

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si ce même sujet a pu entrer en considération pour les électeurs britanniques. Notamment, au regard du fait qu’Angela Merkel – chancelière de l’Union Européenne, pourrait-on dire – s’était empressée de réclamer l’arrivée massive en Europe de « migrants » transitant par la Turquie, sous prétexte de leur prétendue fuite de la guerre en Syrie-Irak. La question était devenue d’autant plus pressante que ces flux migratoires contenaient – et contiennent encore – une part criminelle non négligeable. Alors, attribuer le résultat du référendum à la supposée prévalence d’un sentiment raciste relève d’une inversion logique : il ne s’agissait pas de la promulgation de mesures vexatoires visant une certaine population, mais d’une opposition à des mesures déjà imposées aux autochtones. Ce n’est qu’avec une bonne dose de mauvaise foi que l’on prétendrait entendre des bruits de bottes !

 

Puis, pour emprunter les mots d’André Siegfried, quand il affirmait pouvoir réduire une séance de son cours à Science Po à cette seule phrase : « La Grande Bretagne est une île », pourquoi les Britanniques ne se prévaudraient-ils pas de cet avantage que leur procure la géographie de leur pays pour affirmer leur souveraineté ; pour prendre du large face au tropisme grégaire qui anime les pays du continent ?

 

Certes, invoquant les impératifs issus de la mondialisation, on a pu déclarer que la Grande Bretagne ne pourrait jamais survivre seule. Ce jugement se laisse discuter : je connais un tout petit pays situé au Proche Orient qui doit constamment affronter des dangers autrement plus existentiels, depuis sa (re)naissance. Certains choisissent la solitude, d’autres se la voient imposer…

 

Qui est frileux ?

 

Il convient d’examiner de plus près la nature des arguments avancés pour critiquer le choix britannique. On n’a pas manqué, par exemple, de souligner les dangers qu’encourait le pays en quittant l’Union : les risques pour l’économie, qui supporterait mal l’absence du renfort que procure le nombre [et l’accès à un marché domestique de plus d’un demi-milliard d’êtres humains à fort pouvoir d’achat. Ndlr.] ; la nécessité de renégocier tous les accords passés avec l’Union et avec les partenaires commerciaux, et d’autres encore. En somme, il s’agit d’arguments exprimant un sentiment de panique à l’égard des dangers pouvant surgir pour le statu quo. Une telle réaction paraît tout à fait attendue. L’objectif même présidant à la création de l’Union Européenne consistait à créer une force économique sur le plan mondial, un marché stable, et des sociétés pacifiées grâce à l’abolition des spécificités nationales. Ainsi, en plaçant le débat sur le seul plan du confort matériel, ces voix cherchent avant tout à dénier toute question réellement politique ; car toute interrogation de cet ordre doit nécessairement porter sur le destin du peuple ; elle doit définir comment ce dernier voit son existence.

 

L’attitude conservatrice exprimée par ceux qui dénoncent le Brexit est patente : on a bien noté que nombre d’« experts » et de « responsables » politiques n’ont rien vu venir, proclamant qu’il était impossible que les Britanniques fassent un tel choix. On comprend donc leur désarroi, quand le peuple a opposé un démenti massif à leurs prévisions ! Nos élites sembleraient uniquement capables de seriner leurs discours soporifiques dans le but de mener leurs transactions en vase clos et souvent à leur avantage personnel. A ce titre, que « l’impossible » se produise enfin est une chose éminemment salutaire !

 

Or c’est ici qu’il convient, me semble-t-il, de marquer la réelle valeur humaine du référendum britannique. Les postmodernes – parmi lesquels nos gauchistes – sont épris d’un monde où le capitalisme dispense ses bienfaits, et abreuve les populations de plus en plus d’objets de consommation.

 

Mettons cela en des termes familiers, ceux que l’on entend dans tous les discours. Aujourd’hui, chacun est convié à vivre non dans le monde réel, mais dans le virtuel, à être « connecté », à afficher un optimisme sans bornes à l’égard de l’avenir radieux promis à l’humanité occidentale. On nous exhorte aussi à adhérer à l’idéologie du « développement durable ». Celui-ci s’entend comme la version moderne de la quadrature du cercle, où la production accrue des objets informatiques est supposée conduire miraculeusement à l’assainissement de notre environnement. Dans le même ordre d’idées, on nous somme de combattre le « réchauffement climatique ».

 

Bref, au regard de toutes ces causes, la vie humaine se résume à la gestion des choses, au détriment du lien par la parole, comme Jean-Claude Milner l’a si bien démontré1. Quelle meilleure façon de réduire la population à l’impuissance, que de lui occuper l’esprit avec des gadgets électroniques ? Mais au fond, au lieu que ces derniers servent l’humain, c’est chaque utilisateur qui se met au service des multinationales en leur fournissant des données. Cette situation n’est pas sans conséquences sur ce que l’humain est prêt à investir pour vivre réellement. Sous les effets de ce conditionnement, la population ne peut que devenir frileuse, ayant de plus en plus peur de prendre des risques, d’affronter l’inconnu. Connaissant donc cette pente qui affirme son emprise dans les pays occidentaux, notre surprise ne peut qu’être grande devant le sursaut que révèle le référendum, car voilà cet inconnu ; contre toute attente, les Britanniques l’ont fait surgir !

 

Dès lors, nos élites redoutent des exit en chaîne : que les peuples veuillent, à tour de rôle, s’affranchir de la tutelle bureaucratique et antidémocratique de l’Union Européenne. Ce que nous voyons se manifester, c’est l’expression éclatante d’un désir que nos dirigeants voulaient étouffer sous le confort de la routine. Par son choix, le peuple britannique a refusé de consentir à son effacement, revendiquant le droit d’épouser son destin singulier. Ce qui apparaît au grand jour relève du désir inconscient qui, lui, n’incarne jamais la belle harmonie dont rêvent nos bien-pensants : si c’était le cas, notre monde serait une vraie pépinière d’utopies. Au contraire, ce que l’on peut mettre ici sur le compte du désir relève de la dysharmonie qui constitue le fond de l’humain. Il n’y a pas lieu de s’étonner si une attitude de conflit finit toujours par ébranler nos aspirations à la paix.

 

Un acte, enfin

 

Prenant le contre-pied de cette réalité, nos postmodernes demeurent habités par le rêve d’une existence éthérée, et ne tolèrent pas que quelqu’un dise « non », que l’on refuse de céder devant la masse. Comment ose-t-on dire « non » à ceux qui prétendent savoir ce qui est bien pour nous ?

 

Après cette réponse inouïe exprimée par les Britanniques, il est normal que l’on s’affole : pris de court devant l’inattendu, chacun est interloqué. Cependant, passé ce moment de saisissement, les personnalités politiques et les commentateurs retrouvent rapidement leurs repères : ils accusent les gens malfaisants, les pas-comme-il-faut ; ils critiquent le mécanisme du vote, exigeant que le peuple repasse aux urnes, dans le fol espoir qu’il se rendra compte enfin de son erreur… De cette manière, ils misent non sur l’intelligence mais sur la peur, espérant que tout le monde redeviendra craintif et se laissera dicter ses choix. Ce n’est guère une position très courageuse.

 

Parmi les griefs formulés, on a prétendu que le référendum était faussé parce que les électeurs auraient confondu la question soumise à leur réflexion avec leur désenchantement à l’égard du gouvernement du jour. Mais tout de même, la politique n’a jamais été pure, détachée des considérations concrètes dans lesquelles chacun se trouve sur le moment. Transposons la problématique au domaine intime quand il est question de brouille : on peut toujours prétendre que l’un des deux partenaires a fait le mauvais choix, qu’il a agi pour des raisons très confuses et sans mesurer les réelles conséquences. Dans les deux cas, il n’empêche qu’au-delà du domaine des discours, il existe celui de l’acte, et c’est celui-ci qui porte à conséquence. Pour lui donner sa vraie portée, on peut entendre ce mot dans tous les sens du terme : juridique, médical (l’estampille officielle qui détermine une certaine réalité), criminel (produisant l’irréparable). C’est cette valeur qui donne son poids au choix des Britanniques : il s’agit d’une déclaration dans le style : « Je sors, je dis “non”, et je n’ai pas à vous dire pourquoi ! ».

 

Bref, un acte représente un saut existentiel, après quoi tout le monde peut lancer des imprécations qui n’expriment rien d’autre qu’un sentiment d’impuissance, parce que plus rien ne sera comme avant. C’est ainsi.

 

Catastrophe !

 

Donc, une catastrophe ? Oui : mais au sens étymologique du terme. Dans le théâtre de la Grèce antique, ce mot désignait un tournant dans l’action dramatique. A cet égard, on peut songer à la pièce éponyme de Samuel Beckett, que celui-ci écrivit à la demande de l’Association internationale pour la défense des artistes, et qui fut créée au Festival d’Avignon en 1982, lors de la manifestation « Une nuit pour Vaclav Havel ». En effet, l’écrivain tchèque était en prison depuis plusieurs mois, pour dissidence.

 

Dans cette très courte pièce, on voit le personnage principal debout et immobile, tête baissée et coiffée d’un chapeau. Autour de lui, le metteur en scène observe et donne des ordres à son assistante, qui exécute diverses manipulations afin que cette figure anonyme soit présentable : on ignore pour quel événement.

 

Or le moment crucial – celui annoncé par le titre – se produit à la fin. Le metteur en scène se retire dans l’obscurité de la salle pour observer sa création. La lumière finit par éclairer seulement la tête, et on entend alors un « lointain tonnerre d’applaudissements » émanant des haut-parleurs. C’est à ce moment-là que la figure « relève la tête, fixe la salle ». Soudain : « Les applaudissements faiblissent, s’arrêtent. Silence. » Enfin, la tête « rentre lentement dans le noir ».

 

Si cette pièce – sans le moindre discours idéologique – visait à affirmer un soutien à l’égard d’un artiste opprimé par un régime totalitaire, elle l’a fait par le biais d’un visage qui se relève, et qui brise ainsi les attentes d’une foule réclamant la soumission. La figure fait face, mais n’affirme rien, si ce n’est en opposant son regard insondable qui impose le silence à la masse grégaire.

 

Le contexte du Brexit peut paraître moins sublime, plus terre à terre, plongé dans la gangue du quotidien. En effet, le saisissement causé par le choix inattendu des Britanniques fut immédiatement recouvert par le vacarme affolé des commentateurs. Cependant, le silence est là, au cœur de cet acte de rupture. Il vaut la peine que nous en prenions la vraie mesure.

 

 

 

[1] Jean-Claude Milner, Court traité politique I : La Politique des choses ; II : Pour une politique des êtres parlants, Lagrasse, Verdier, 2011. 

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