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Les coplas du jeune homme amoureux, par Albert Memmi

Les coplas du jeune homme amoureux, par Albert Memmi

 

 

 

Par Jean-Pierre Allali

Né à Tunis peu avant la Seconde Guerre mondiale, mon enfance comme mon adolescence ont baigné dans les proverbes judéo-arabes, les expressions siciliennes et, bien entendu, les récitations françaises qu'on apprenait à l'école de la République, des fables de La Fontaine aux poésies d'Émile Verhaeren.

Mais jamais, au grand jamais, ma génération ne s'est trouvée confrontée aux coplas espagnoles, encore moins aux haïkus japonais.
J'ai croisé ma première et unique copla à l'âge adulte lors d'un séjour en Espagne et, depuis, elle me trotte dans la tête :

« Dos besos hay en el mundo

qué non se apartan de mi

El ultimo de mi madre

Y el primero qué te di »

(il n'y a que deux baisers au monde que je ne saurais oublier : le dernier de ma mère et le premier que tu me donnas).

C'est pourquoi, c'est avec étonnement que je découvre que le grand Albert Memmi, certes de vingt ans mon aîné, le chef de file de la littérature juive de Tunisie, l'auteur de dizaines d'ouvrages fondamentaux, notamment « La statue de sel » (1) , « Agar »(2), « Portrait d'un Juif » (3) et  « Portrait du colonisé » (4), retrouvait régulièrement, adolescent, ses amis à Tunis, juifs et non juifs, dont l'un, Luis Gomez, était catalan, en fin d'après-midi, dans un petit square de l'avenue de Paris, pour une séance de coplas. Ces coplas, essentiellement à caractère amoureux, ont été pieusement recueillies par l'auteur et traduites en français, parfois en dérogeant au principe des trois à cinq vers. Cela nous donne un recueil d'une fraîcheur étonnante où chacun pourra éventuellement puiser l'inspiration nécessaire à la rédaction d'un message amoureux.

Ainsi, parmi des centaines :

Jouvence

« À la saison nouvelle

le jardin refleurit

Si tu me prêtes vie,

j'aurais toujours vingt ans »

L'inspiration biblique n'est pas absente de ce florilège :

Ma vérité

« Le Pentateuque a dit

Ève est sortie d'Adam

autre et la vérité

je suis sorti de toi » ou encore

La lumière

« Ainsi Dieu aurait dit

Que la lumière soit

et la lumière fut

Parfois je me sens Dieu

puisque vous êtes là ».

et :

Le ciel

On dit dans la Cabale

que femme égale trois

hommes, dépasse quatre,

mais homme et femme ensemble

font le chiffre du ciel

Les relations entre les trois religions monothéistes font une intrusion remarquée et inattendue dans cet ensemble plutôt tourné vers l'amour charnel.

Aide

Les chrétiens ont le Christ

les musulmans Allah

les Hébreux Jévovah

lorsque j'ai besoin d'aide

je murmure ton nom

et aussi :

Le jour de fête

Chacun a son jour de fête

Les juifs c'est le samedi

les chrétiens ont le dimanche

les musulmans vendredi

Pour moi, c'est tous les jeudis

quand tu sors du pensionnat

173 petits textes savoureux.

Décidément, on n'a pas fini de découvrir des facettes inconnues du judaïsme tunisien. Étonnant et rafraîchissant.

Notes :

(*) Éditions Alain Gorius. Avril 2013. Gravures d'Anick Butré. 108 pages. 16 euros

(1)       Éditions Corréa, 1953.

(2)       Éditions Corréa, 1955.

(3)       Éditions Gallimard, 1962-1966.

(4)       Éditions Corréa, 1957.

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