Le nouvel antisémitisme s'accroît en Europe

L’atmosphère sent le rance en Europe aujourd’hui. Comme en un temps qu’on aurait pu croire révolu, des listes circulent sur Internet et quelquefois sur le papier, tracts ou affiches. Les listes désignent (faudrait-il dire dénoncent ?) les produits fabriqués en Israël, et visent à “informer” les consommateurs occidentaux de ce qu’il ne faut pas acheter. Le judaïsme, vous savez, c’est plus contagieux que le Sida, surtout le judaïsme sioniste, consommez un produit israélien et c’en est fini de vous... Les listes désignent même les produits dont les noms semblent indiquer simplement que le propriétaire de l’entreprise est juif. Dans le Nord de la France, ainsi, ces jours derniers, se trouvait stigmatisée la firme Lévi-Strauss, et quiconque porte un jean 501 made in California du côté de Lille ou de Roubaix peut se trouver soupçonné d’avoir rejoint les rangs de l’ennemi. Partout en France, la firme Ariel se trouve soupçonnée d’accointances honteuses, car son nom semble avoir des résonances dans ce que les chrétiens appellent l’Ancien Testament.

Les listes sont accompagnées de conseils: parfois, vous dit-on, les produits juifs sionistes circulent sous de faux noms, regardez bien les étiquettes! Il existe aussi des enseignes qui, sans le dire, recyclent le produit juif sioniste: Marks and Spencer, par exemple. D’autres entreprises sont coupables de vendre leurs produits en Israël, Coca Cola, d’autres encore d’y avoir des restaurants franchisés, MacDonald ou Pizza Hut.

Comme en des temps qu’on aurait pu croire révolus, personne ne s’indigne de la circulation de ces listes et de ces conseils.

Je sais, me direz-vous, il ne s’agit là que de discrimination envers des produits et des entreprises, et l’ombre de l’étoile jaune ne plane pour le moment que sur des pamplemousses, des barils de lessive, des jeans ou des hamburgers. On sait néanmoins que, quand certains engrenages s’enclenchent, ils enclenchent avec eux une logique où il en va très vite de bien davantage que de produits et d’entreprises. D’ailleurs, qui ne voit pas que derrière les produits et les entreprises, ce sont déjà des êtres humains qui sont visés et qu’on voudrait asphyxier: ceux qui fabriquent les produits et ceux qui font tourner les entreprises... Qui ne voit pas que derrière la discrimination qu’on essaie de mettre en marche, d’autres discriminations se profilent...

Des universités européennes font face à des groupes de pression bruyants, et parfois violents, qui les poussent à interrompre toute forme de relation, académique ou économique, avec des universités israéliennes. Des enseignants se voient exclus de programmes de recherche ou interdits de publication parce qu’ils sont juifs israéliens. Dans les salles de rédaction, les journalistes juifs font bien attention de ne pas défendre trop ouvertement Israël, certains déjà que s’ils le font, on les taxera d’aveuglement tribal et on les regardera avec dans les yeux une condescendance méprisante.

Je sais, me direz-vous encore, Israël n’a pas bonne presse en Europe ces derniers temps. Et précisément...

La presse européenne elle-même discrimine. Parfois consciemment, parfois inconsciemment. Le préalable à tout reportage est que le Palestinien est l’opprimé, que Sharon est un militaire brutal et fascisant et que l’armée israélienne est une armée d’occupation...

Comme en des temps qu’on aurait pu croire révolus, une paresse intellectuelle s’installe, des stéréotypes saumâtres remplacent la connaissance et le scrupule...

La question à poser en ces conditions devrait être: pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? La réponse tient en plusieurs éléments qui s’imbriquent.

D’abord l’islam ! Dans la plupart des pays européens, l’immigration musulmane s’est accrue au cours des deux dernières décennies. Nombre de musulmans sont devenus citoyens de leur pays d’accueil et représentent un poids politique avec lequel il faut compter. Les musulmans installés en Europe sont, qui plus est, infiltrés par un islamisme aigre, anti-occidental et anti-juif. Il ne faut pas ignorer l’amertume musulmane, vous diront nombre d’élus en Europe... Pour soulager cette amertume, on est prêt, semble-t-il, à fermer les yeux sur des pratiques qu’on aurait autrefois jugées incompatibles avec la notion même d’Etat de droit... On est prêt aussi à lâcher du lest, et si cela implique quelques violences contre quelques Juifs, on passera cela par pertes et profits...

Ensuite, le gauchisme... Voici deux ou trois décennies, l’extrême gauche européenne s’essayait encore à trouver des repères du côté de Fidel Castro ou de Mao Zedong. Aujourd’hui, Castro se fait financer par le Club Med, Mao est mort et ses successeurs font entrer des capitalistes au Parti Communiste chinois... Il faut des héros de substitution, et Arafat ou Ben Laden font l’affaire. Les Arabes sont les nouveaux damnés de la terre, et les Palestiniens le peuple opprimé par excellence... On peut ressortir du musée tous les vieux clichés et tous les vieux réflexes. On peut découvrir aussi des points communs: les Palestiniens et les islamistes ont le même ennemi que l’extrême gauche, la civilisation occidentale, le capitalisme démocratique, l’Amérique. Cela crée des liens...

Si les Juifs étaient restés à leur place, s’ils se faisaient tuer ou casser la figure sans rien dire, s’ils rasaient les murs en baissant les yeux, l’extrême gauche européenne pourrait les défendre. Si Israël avait créé un goulag tropical misérable et sordide, l’extrême gauche européenne pourrait trouver Israël sympathique. Mais non! Les Juifs n’acceptent plus de se faire tuer ou casser la figure sans rien dire. Ils redressent la tête. Les Israéliens ont fait en deux générations de leur pays une terre de liberté et de prospérité. C’est intolérable, n’est-ce pas...

Tout cela serait grotesque si ce n’était ignoble.

Faut-il espérer de l’avenir ? Je crains d’avoir à dire que non, il ne faut rien attendre de bon venant de l’Europe... L’islamisme continue à s’épandre, et continuera, puisque rien ne le freine ou ne l’arrête. Le gauchisme et ce qui en exhale s’est emparé des postes stratégiques dans tous les secteurs de la culture. Les hommes politiques sont aveugles, lâches ou sans volonté.

Comme en des temps qu’on aurait pu croire révolus, un nouvel antisémitisme va continuer à monter en Europe, j’en ai peur. Les vecteurs du nouvel antisémitisme diront, bien sûr, qu’ils ne sont pas antisémites et n’ont rien à voir avec leurs ancêtres d’il y a soixante ou soixante dix ans. Ils seront antisémites avec la bonne conscience de celui qui est du côté des vrais opprimés.

Comme en des temps qu’on aurait pu croire révolus, les Juifs devront compter essentiellement sur eux même et, vraisemblablement sur les Etats-Unis d’Amérique. Là bas, les Juifs restent plus nombreux que les musulmans. Là bas, malgré quelques tentatives et quelques violences sur des campus universitaires, subsiste un sens de l’éthique, de la droiture, de la dignité qui a presque totalement disparu en Europe. Si l’Europe doit être sauvée de ses vieux démons et échapper à la moisissure qui la couvre, ce sera de l’extérieur, et contre sa volonté.

L’atmosphère va continuer à sentir le rance. Il restera à des gens comme moi pour résister, clamer leur dégoût et tenter de dire encore ce qui doit l’être. Pourquoi ? Pour rien ou presque. Pour l’honneur, pour la dignité, pour montrer que dans un contexte de cloaque, tout n’aura pas été qu’imposture et cécité.

Guy Millière                        

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