Bizarre, se dit Joseph, en franchissant le point de contrôle menant à l’esplanade du Mur des Lamentations. En effet, les trois soldats, d’habitude si vigilants procédaient à une fouille méticuleuse, surtout en cette période de décembre 2000, assez agitée et dangereuse à Jérusalem. Cette fois, d’un geste nonchalant, ils invitèrent Joseph à passer, sans même prêter attention à son sac, qui certes, ne contenait que livres et effets de prière, mais enfin, on ne sait jamais…. Joseph, perdu dans ses pensées et considérations, avança tête baissée vers l’esplanade, puis leva la tête et eut un choc épouvantable : l’esplanade était vide !!! Plus rien, le Mur des Lamentations avait disparu, de même que les mosquées d’Omar et d’El Aqsa : tout était à niveau, rasé, et recouvert d’une gigantesque plaque de marbre rose. Compte tenu de l’heure matinale, seules quelques dizaines de personnes étaient présentes : juifs, arabes et même quelques chrétiens erraient, abasourdis sur cette immense place rose, ne comprenant rien, discutant, téléphonant, s’agitant. Très vite, la place regorgea de monde affluant de partout pour constater cette disparition ahurissante. Comme tous, Joseph marchait, à la recherche du moindre indice pouvant évoquer ce lieu cher à son cœur et à son âme : rien, plus rien, tout était uniformément recouvert de marbre rose.

Instinctivement, Joseph plongea la main dans son sac et saisit son livre de prières ; il l’ouvrit et, stupéfait, constata que toutes les pages étaient blanches : l’écriture sainte avait disparu et le livre n’était plus qu’une suite de feuilles sans aucune inscription. Affolé, il interpella le premier juif qui était également venu prier, lui demanda d’ouvrir son livre, et le même phénomène se produisit : livre vide, pages blanches !!!

Pendant ce temps, les nouvelles affluaient de tout le pays et du monde entier : le même phénomène s’était produit à l’échelle planétaire : disparition de tout édifice religieux (église, temple, moquée, synagogue) et de toute écriture sacrée. Tout ce qui, peu ou prou, pouvait évoquer la religion avait disparu de la planète, faisant place à du marbre rose ou à des pages blanches….

Têtu et choqué, Joseph feuilleta à nouveau son livre : il remarqua alors qu’à la dernière page, en hébreu et en petits caractères étaient écrites les phrases suivantes :

« Terriens, ça suffit. La religion, sensée être un modèle de vie et de comportement, est devenue un modèle de mort et de déchirement de votre planète. Dieu, mythe inventé de toutes pièces pour relativiser votre importance, humains perdus au milieu de l’univers, est devenu le prétexte de comportements inadmissibles et nuisibles. Dans ces conditions, et faute d’avoir compris le message hautement symbolique et moralisateur de ces modèles, eh bien, comme vous pouvez le constater ce jour, toute référence à ces modèles a désormais disparu de la planète; nul ne pourra désormais s’en prévaloir. Sachez, terriens, que la vie est absurde, petit bout d’existence coincée entre deux néants : tachez donc de la consommer au mieux, en diffusant le bien, l’amour, la paix et l’humour autour de vous. Vous avez tous, sur cette planète, et sans distinction aucune, droit au bonheur : prenez-le et profitez-en bien, sans trop vous poser de questions ; de toutes façons, votre minuscule cerveau ne pourrait jamais comprendre. »

Joseph lut fébrilement le message, puis vit qu’autour de lui, la foule lisait et partageait ce message, qui effectivement apparaissait dans tous les ex-livres de prières, dans toutes les langues et sur toute la planète ; il trouva que ce moyen de diffusion instantané et mondial était décidément génial.

Tout à coup, il entendit le shofar qui retentit très fort sur l’esplanade : il tressaillit, sursauta et réalisa qu’il était en fait dans son lit et que tout cela n’était qu’un cauchemar. Six heures du matin : rassuré, il sauta hors du lit, puis, après s’être préparé, il embrassa Rachel, sa femme encore endormie et prit ses affaires de prière et…en route pour le Kotel. En sortant, il embrassa machinalement la mezzouza, sans se rendre compte qu’elle était devenue un petit cylindre de marbre rose.

Gilou