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La baklava


   

               Pâte feuilletée, aplatie au rouleau, savamment composée et lentement travaillée jusqu’à devenir un voile, une mousseline arachnéenne, que les mains vont étirer doucement, en évitant le moindre faux-mouvement, la moindre brusquerie. Une petite  maladresse,  une seconde de distraction et  la fine pâte fragile, délicate,  risque l’accroc et alors tout est à recommencer. Il faut de l’adresse, du doigté, de la grâce pour manipuler une telle pâte. Les anciennes, qui ont depuis longtemps perdu leur pouvoir de séduction,  enseignent   cet art aux jeunes  filles en âge de prendre époux et ajoutent-elles l’œil coquin :  « si vous réussissez à sortir de vos jeunes doigts la pâtisserie qui régalera votre époux, si  votre feuilleté parvient à un croustillant parfait tout en étant aérien,  si vous avez su éviter tous les écueils  de la difficile préparation du feuilletage alors vous saurez aussi mieux connaître les hommes car, souvenez vous, la préparation de la pâte de la baklava constitue votre  apprentissage. Mesdemoiselles, sachez que le feuilletage et les hommes se manipulent de la même façon, avec douceur. Si vous réussissez votre feuilletage, l’étape la plus difficile de la préparation de la baklava vous saurez manier les hommes  sans les effaroucher, sans les blesser dans leur orgueil viril ». Ainsi donc ami lecteur, si ta douce moitié te régale de la plus somptueuse des baklavas, il est déjà trop tard pour toi, sa mère, sa grand-mère et toute une longue chaîne de femmes  lui ont aussi enseigné l’art de t’embobiner mais avec une telle douceur que tu ne peux plus t’en passer et si cela peut te rassurer tu n’es pas seul. Des Balkans au Maghreb, de L’Azerbaïdjan à la Grèce, de l’Iran à la Turquie sans oublier l’Arménie, la  baklava fait l’unanimité au point même  de déchaîner des incidents diplomatiques entre tous ces états qui se revendiquent ses géniteurs. Si contrairement au kathaïf, la baklava n’est pas faite de cheveux d’anges, il est néanmoins très difficile de dénouer l’écheveau des ses origines.

  La finesse de cette pâtisserie provient de l’art du feuilletage qui s’est affiné en plusieurs siècles si ce n’est plusieurs millénaires pour atteindre ses sommets  à Constantinople.  Il est donc fort probable que les  peuples antiques aient su superposer  des couches de pâte et de fruits à coque concassés et les arroser de miel chaud mais nous étions loin du feuilletage et  de la finesse de la baklava  qui atteindra la perfection et sera connue sous sa dénomination actuelle au moment de l’Empire ottoman.

 

 

La guerre de la baklava

      Lançons-nous sur les traces d’une pâtisserie qui suscita non seulement l’engouement des gourmets mais déchaîna  les passions et exacerba les identités nationales au point de déclencher ce que la presse appela « la guerre de la baklava ». Le conflit entre Grecs et Turcs  remonta jusqu’aux instances européennes et les deux protagonistes utilisèrent des  arguments vérifiables et fallacieux,  objectifs et subjectifs pour revendiquer l’origine de fameux feuilleté.   La suave pâtisserie gorgée de sucre et de miel, onctueuse de beurre,  si,  elle ne causa aucune mort fit couler beaucoup d’encre. En 2006, au sommet de Vienne où, à l’initiative de la Présidence autrichienne, se fête le vingtième anniversaire de la Journée de l’Europe, les  Grecs chypriotes décident de choisir la baklava comme emblème national. Lors des repas, agrémentés par des spécialités des vingt-cinq pays membres, c’est la baklava qui représentait Chypre et  qui plus est, dans la brochure officielle,  le drapeau chypriote figurait a coté de la baklava. Offusqués les Turcs protestent immédiatement auprès de  l’Union Européenne. C’est Ali Babacan, lui-même, Négociateur en Chef dans le cadre du processus d’accession à L’Union Européenne  qui prend l’affaire en main. En Turquie, l’émoi est considérable, les journaux commentent abondamment l’incident et une conférence de presse est organisée à Istanbul où plusieurs personnalités prennent la parole. Halil Dincerler, Président de la fameuse marque « Haci Sayid Baklava » affirme haut et fort que : «  la baklava est turque et que les Grecs chypriotes n’ont présenté à Vienne qu’une pâle copie. » Le Président de la Fondation de la Baklava et des Desserts, Mehmet Yildirim rappelle quant à lui que « les Turcs ont ramené la baklava d’Asie centrale comme le prouve plusieurs documents  et qu’il est temps pour la Turquie de revendiquer et de mettre à l’honneur  ses trésors nationaux. »  A Vienne, les organisateurs avouent avoir été pris de court et n’avoir pas relu la brochure officielle assez attentivement, ils ajoutent que les Grecs chypriotes ont aussi mis au menu d’autres desserts dont les délicieux doigts de fée. Gageons que tous ces officiels se sont régalés autour d’un café turc et d’une baklava  nom moins turque qui, au final attendent toujours à la porte de l’Europe. A moins que, pour calmer les esprits, ils aient dégusté un cousin éloigné de la baklava, le fameux studel viennois accompagné du non moins célèbre café viennois    

 

Les origines

            La gastronomie byzantine était dans la prolongation de la table gréco-romaine basée sur la trilogie blé-vigne olivier avec un nouvel apport toutefois celui du sucre, implanté sur le pourtour méditerranéen par les Arabes, dont raffolent les Byzantins et qui est abondamment consommé.  Lorsque Byzance tombe en juin 1469, s’ouvre une nouvelle page de l’Histoire mais aussi de la gastronomie pour la région puisque l’époque ottomane remplace la trilogie citée ci-dessus  par une autre, à savoir sucre-riz- beurre  dans laquelle l’on retrouve deux éléments qui entrent dans la composition de la baklava. Venus des steppes d’Asie et de  Mongolie les Turcs,  acquièrent à Constantinople de nouvelles habitudes alimentaires notamment en traduisant les traités de cuisine arabes et byzantins  mais ne renoncent pas pour autant à un patrimoine culinaire issu des steppes. Les borëks et la baklava   fleurons de la cuisine  turque seraient parvenues sur les rives du Bosphore voyageant avec des cavaliers moghols mais c’est bien dans la cité palatiale  de Constantinople,  à l’ombre des cuisines de la cour que la pâte deviendra un  feuilleté et  atteindra la perfection.  C’est dans ce même lieu que les termes  baklava et borëk apparaissent  pour la première fois dans les archives et les registres des produits consommés au palais de Topkapi. Les borëks, farcis au poulet et aux œufs   sont servis régulièrement au menu du sultan, et sont aussi servis aux dignitaires pour les grandes occasions comme les festins de la circoncision du fils de Soliman en novembre 1539. Les plateaux de baklava  n’apparaissent pas dans les menus quotidiens de la cour et semblent réservés aux  les célébrations religieuses notamment pendant le mois de Ramadan. A la fin du mois de jeûne et lors de la fête du Sacrifice ( Aid el Kébir) le sultan avait coutume d’offrir, au corps des Janissaires,   des baklavas.  Chaque régiment recevait deux grands plateaux.  Ce présent donnait lieu  à une cérémonie très codifiée,  la « Procession de la Baklava (« Baklava Alayi) les Janissaires défilaient dans les rues de  la ville, portant  leur présent. Mais la dégustation se faisait dans « un rituel de pillage », de retour au palais, les plateaux de baklavas sont disposés sur le sol et les Janissaires se battent entre eux pour les attraper et les emporter. Cette pratique particulière, venant d’un corps obéissant et déférent, oppose selon Stéphane Yerasimos : « la discipline et la combativité, les deux vertus majeurs du soldat » La baklava et les borëks seront considérées  jusqu’au XIX°siècle en Turquie comme des mets de riches ou du moins réservés pour de grandes occasions comme le confirme le proverbe turc toujours en usage de nos jours : « Je ne suis pas assez riche pour manger des borëks et de la baklava tous les jours »

 La rivalité gastronomique entre deux nations devient aussi un antagonisme entre deux écoles d’historiens de l’alimentation.   D’un coté Charles Perry, qui ne craint pas de se mettre à dos tous les Grecs, en soutenant  fermement la thèse d’une origine asiatique voire moghol tandis que  Speros Vryonis  tente de démontrer une origine  grecque et byzantine. Pour le chercheur américain  d’origine grecque,   le dessert nommée gastris dans le Banquet des Sophistes d’Athénée qui deviendra  le kopte ou kopton (koptoplaukus)  dont raffolent les  Byzantins n’est autre que l’ancêtre de la baklava.

Charles Perry, quant à lui, est persuadé que la baklava est bien le fruit des l’imagination des moghols ou plutôt de l’impossibilité pour un peuple nomade de cuire la pâte à pain dans un four fermé.  Le dessert favori des Byzantins s’il évoque la baklava par la présence de fruits concassés (noix, pistaches) et de miel ne comportait aucune forme de pâte dans sa composition.

Perry refait en quelque sorte le chemin des mogols jusqu’à Constantinople et traque toutes les formes de cuisson et préparation de pâte à  pain et sa démonstration est assez convaincante. Les peuples nomades cuisaient leurs pains sous forme de fines couches de pâte étalées sur de grands plateaux, appelées puskal chez les Ouzbecks ou  yufka et  yoka, Cette méthode est toujours en usage en Asie centrale et l’ethnologue photographe Joséphine Powell qui passa sa vie à suivre les nomades nous a laissée une impressionnante collection de photos dont celles de la préparation de la yufka. Perry  qui voyage  avec obstination dans l’espace et le temps remonte jusqu’en Chine où l’on retrouve dans un traité de cuisine rédigé en 1330 sous la dynastie Yuan (Moghol) où apparaît une recette qui superpose des fines couches de pâte et des oignons verts. Il faut noter que cette pâte n’était pas encore préparée sous forme de feuilleté mais comme une pâte à pain très souple et très fine qui peut évoquer la pâte à crêpe où le fameux pain  lavâsh dont les Iraniens sont toujours très friands.

Puis ses turco-moghols qui ne connaissaient ni les noix, ni les pistaches, ni les noisettes, traversent l’Azerbaïdjan où ils découvrent ces fruits et c’est là que la pâtisserie serait née sous la forme qui se rapproche beaucoup de celle que nous connaissons. L’Azerbaïdjan serait le chaînon manquant dans l’histoire de la baklava et aujourd’hui encore, le baku pakhlavasi reste le dessert favori du pays.

 

 

 

   La piste iranienne

 Si les deux démonstrations  sont brillantes, il faut tout de même avouer que nous disposons de très peu de matériaux probants notamment d’écrits. Ni dans l’Empire romain d’Orient ni dans l’Empire Ottoman les cuisines du palais n’ont laissé de traités de recettes  à l’exception du fameux manuscrit de  qui reprend plusieurs recettes d’el Baghdadi, rédigé par un certain Mehmed bin Mahmoud Chirvânî, originaire d’Azerbaïdjan.   Dès lors,  découvrir un texte perse  peut nous apporter un nouvel éclairage. Le dénommée Ostad Nourollah  était chef cuisinier (et non pâtissier) à la cour safavide sous le  règne de Shah Abbas (1571-1629) et il est le premier, il le revendique d’ailleurs, à écrire sur la baklava.  Il s’y sent obligé car personne ne l’a fait avant lui et il considère que la baklava fait partie du patrimoine légué par ses ancêtres :

« Sache que la baklava n’a rien à voir avec l’art de la cuisine mais plutôt avec l’art des pâtissiers : mais puisque ces gâteaux sont l’héritage des ancêtres, je me dois de leur consacrer un chapitre.

Sache qu’il existe diverses sortes de baklavas et que la plus fameuse est préparée avec des lentilles, mais il est très fréquent de les confectionner avec des amandes décortiquées ou des pistaches de premier choix. J’ai coutume, quant à mo,i de les préparer soit avec de la chair de noisettes fraîches soit avec des noix fraîches et mes baklavas ont toujours été très appréciées.  

En principe, la baklava se prépare sur une base de pain lâvash (sorte de pâte à pain très tendre, mince et légère) mais de nos jours il est plus courant d’utiliser du pain tanuk mais à mon goût le résultat est moins bon.

On met la chair des fruits des amandes, pistaches ou noix décortiquées dans un mortier, on les broie on y ajoute du sucre raffiné de  l’arum et on met le tout à bouillir jusqu’à obtenir une consistance de halva. Puis on découpe le lavash de manière à former de petites aumônières  dans lesquelles on enveloppe  la préparation de fruits et de sucre. On frit le tout dans de l’huile d’amande. Ensuite on prépare un sirop de sucre parfumé au musc et à l’eau de rose et on  en asperge les gâteaux. J’ai pour habitude de servir les baklavas sur des assiettes de porcelaine blanche et de les saupoudre de musc, de sucre et de pistaches concassées.

Puis le cuisinier iranien nous donne la recette quelque peu différente utilisée chez les Ottoman mais aussi, le détail est très important, chez les Byzantins.

La grande baklawa

On la fait dans de grands plateau, c’est ainsi qu’on la prépare chez les Roumis (Byzantins) Ils utilisent un grand plateau rond, y mettent la pate de pain tanuk qui a été frite dans l’huile y rajoutent les lentilles cuites, et superposent couches de pâte et couches de lentilles, ils arrosent de sirop de sucre candi et parfume la dernière couche d’eau de rose et de musc.

Ce texte a été rédigé entre la fin du XVI° siècle et le début du XVII°, l’Empire ottoman était installée depuis un moment, pourtant le cuisinier parle bien du pays des Roumis, deux hypothèses, soit la préparation était déjà connue des Byzantins, cela renforcerait la thèse de Speros Vryonis,  soit l’habitude était simplement demeuré de désigner ainsi la région, et dans ce cas c’est la théorie de Charles Perry qui serait plus exacte.

Nourahllah rajoute ensuite une troisième recette

On confectionne aussi la baklava avec un pain que les turcs nomment buzlamâj, qui se cuit de la même façon que le lakhsha (confiserie) Préparée sous cette forme la baklava est parfaite comme provision de voyage. La piste iranienne est intéressante  puisque l’Iran et l’Azerbaïdjan se situent sur la route des caravanes qui se dirigeaient vers l’Anatolie et que la baklava peut-être considérée comme le fruit des nomades turco-moghols et les Iraniens sédentaires constitués en un grand empire.

 

      L’Empire ottoman diffusa si bien l’exquise pâtisserie qu’au Maghreb, il y a belle lurette qu’elle fut réappropriée et fait partie du patrimoine culinaire. Et la France dans l’histoire direz-vous, la patrie du mille-feuille ne joue  donc aucun rôle dans l’histoire de la baklava ? Rassurez-vous, bien sûr que oui. A la fin du XVIII° siècle lorsque l’Empire ottoman commence à s’ouvrir aux influences européennes, le kahyabasi[1] des cuisines impériales a l’occasion de rencontrer Monsieur Guillaume, l’ancien chef pâtissier de Marie-Antoinette en exil à Constantinople. Après avoir appris à confectionner la pâtisserie, le Français mit au point une nouvelle technique (dite technique de dome) de découpage et de pliage  la pâte de la baklava que, les Ottomans  adoptèrent sous le nom de « baklava française »

 Foi de gourmande toutes les variantes de la baklava,  grecques, turques maghrébines, balkaniques,  iraniennes sont exquises et lorsque l’on a la chance de pouvoir déguster le même jour mille-feuilles et baklava, on est déjà à la porte du Paradis avec tout de même le risque, madame, d’être bourrée de bourrelets mais cela est une autre histoire.

 Monique Zetlaoui


 

[1] L’intendant  général des différents métiers de bouche du palais

  


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