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Basilic


   

 

Vert et je te veux vert

Vent vert, vertes branches.

Ils ont monté, tous les deux.

Le vent laissait dans la bouche

Un étrange goût de fiel,

De basilic et de menthe.

                    Fédérico Garcia Lorca (traduction Claude Esteban)

 

       Comment a-t-il pu t’oublier, Bécaud[1], lorsqu’il chantait ?

                          « Voici pour cent francs du thym de la garrigue

                             Un peu de  safran et un kilo de figue

                             Voulez-vous, pas vrai, un beau plateau de  pêches

                             Ou bien d’abricots ?

                             Voici l’estragon et la belle échalote,

                             Le joli poisson de la Marie- Charlotte

                            Voulez-vous, pas vrai, un bouquet de lavande

                           Ou bien quelques œillets ? »

              Pourtant de Menton à Marseille,  Nice,  Antibes, Eze, tu les embaumes ces marchés. Oh ! Tu ne prends pas une place énorme, quelques bouquets posés près des salades fraîchement cueillies et des rondes tomates, mais tu sais solliciter l’attention du marchand et de l’acheteur. Le maraîcher se fait sévère si on te déplace, si des mains s’attardent sur tes feuilles, si l’on hume de trop près tes fragrances, « il est fragile mon basilic, ne touchez pas au roi » crie-t-il ave l’assent. Et, le promeneur penaud, s’empresse de payer l’odorant bouquet et de continuer sa flânerie dans les venelles ombragées de la vieille ville où il te retrouve, sur les rebords des fenêtres, accroché aux persiennes dans de jolis pots. Il ne s’est pas trompé, le marchand, ton nom, signifie bien  roi, en grec, et, même si les Provençaux, plus familiers, te surnomment pistou, tu es bien le roi des marchés de Provence.

    Tu naquis, il y a fort longtemps en Inde, on t’y nomma tulsi. La légende dit que Vrindâ, épouse de Jalhandara, fut séduite par Vishnu, elle se suicida en se précipitant dans un brasier. C’est de ses cendres que tu es né, odorant tulsi. Ton parfum, si puissant, si enivrant et si volatil semblait destiné aux dieux. Il paraissait impossible de te faire entrer dans les préparations culinaires, de t’offrir à l ‘élue de son cœur, non, seules les  divinités avaient le privilège de se griser de tes senteurs. Tu devins la plante favorite de Vishnu, les dévots ont pour  de lui offrir tes odorants bouquets et de faire bénir par lui  la boisson qu’ils dégusteront après les offrandes au temple, la Charna Amrita, faite de ghee[2], de lait de miel et parfumée de tes feuilles. Tes senteurs anisées et fraîches s’élèvent vers Vishnu et le ravissent. Les fidèles de la divinité t’assimilent à Lakshmi, sa shakti[3] et chaque année, au mois de kârttika (octobre-novembre) au cours d’une cérémonie familiale et symbolique,  tes noces avec Vishnu sont célébrées. Krishna le beau, Krishna l’espiègle, Krishna le séducteur, avatar de Vishnu, au teint bleu-noir, adulé par les gopî[4], jouant de la flûte, ne sut résister lui aussi à ton arôme. Des légendes nous content qu’il séduisit plus soixante mille femmes mais, que seules cent huit,  étaient très intimes avec lui, d’où les cent huit graines de tulsi qui constituent le chapelet de prières. 

            Les Perses t’adoptèrent sans condition. Si pour leurs cousins indo-aryens, tu étais la plante des dieux, ici tu méritais bien le titre de shah. Tu devins, shah-sprahm, la plante royale. Le Bundahisn[5]  associe trente plantes aux trente yazatas[6], toi, tu es  le symbole Sharever.

          Dis--moi frêle basilic, sans tronc solide, sans racines profondes, commentas-tu fais pour surpasser, en Perse, le cyprès et le palmier dattier et toi, toi seul être baptisé plante royale ? Es-tu magicien ? Mais non réponds-tu, les hommes raffolent de mon parfum, rien de plus. Je ne puis les abriter sous mon feuillage, je n’ai aucun bois à leur offrir, je suis délicat mais, je sais les enivrer de mes senteurs, tel est mon secret.   Tu apparais dans plusieurs écrits, dans le livre d’Ahd Ardhashir, rédigé au III° siècle, le rituel de la dégustation des vins est longuement expliqué : « A la fin du repas, les convives se voient offrir des brindilles pour se brosser les dents, afin qu’aucune autre saveur n’altère le bouquet du vin. L’échanson pose ensuite, devant chaque coupe, les précieuses feuilles. L’hôte hume longuement ce parfum avant de déguster la première coupe, suivi par le premier invité assis à sa gauche et ainsi de suite. » Tes essences auraient la particularité d’accélérer l’état d’euphorie et d’ivresse que procure le fruit de la vigne, fermenté. Entre le XII°  et leXIII°siècle, l’encyclopédie Farrokhnma Jamali, rédigée en persan, confirme que respirer du basilic en buvant du vin accroît la sensation de plaisir et d’exhaltation.  Toujours en Perse, la plus jolie définition de ton arôme est, sans doute, celle du jeune page du roi Khosro. Orphelin de père, il reçut néanmoins une bonne éducation dans tous les domaines de la connaissance, religion, littérature, musique, astronomie, médecine, botanique. Il demanda à son souverain d’éprouver sa science. Le Shah lui demanda s’il était capable e définir ton parfum, le jeune page répondit : « le basilic évoque l’odeur des êtres aimés. »      

                Le vent ou d’audacieux voyageurs amenèrent tes graines jusqu’en Egypte, il y a près, de quatre mille ans. Mélangé à de la myrrhe, tu accompagnas les corps des Pharaons dans le grand voyage vers l’au-delà. Tes puissantes essences vont chasser les odeurs putrides de la décomposition. Cette tradition se perpétue dans certains pays où l’on a coutume de mettre une de te mettre entre les mets des défunts pour les protéger durant le dernier voyage. Tu es donc sur les rives bleues de la Méditerranée, mais nul n’ose encore  ciseler tes vertes et fragiles feuilles pour en assaisonner un mets. Réservé aux dieux en Inde, tu deviens plante royale, ( basilikon pluton ) en Grèce, les rois seuls, peuvent couper tes tiges avec une faucille d’or. Mais, ton statut reste controversé sur la terre des Hellènes, tu y es aussi associé au deuil, donc tu représentes le malheur. Ce statut ne convient sans doute pas, toi qui éloigne les insectes  comme les moustiques, qui détruit les bactéries, toi qui est la vie, alors tu pars vers Rome. On n’y connaît encore ni les pâtes ni les tomates et tu entres rarement en cuisine. Nul Romain ne peut imaginer qu’un jour une délicieuse salade, verte ( basilic) blanche (mozzarella) et rouge (tomate) aurait la couleur du drapeau de l’Italie unifiée. Mais, ton parfum est aussi grisant que l’amour et longtemps, longtemps, avant de te mettre dans les assiettes, Rome fait de toi le symbole de l’amour. Jusqu’au XIX° siècle  dans l’Italie méridionale, nul paysan n’aurait osé conter fleurette à sa bien aimé sans « porter sur l’oreille un brin de basilic. »  Et, tu es entré en gastronomie. Est-ce toi qui es allé vers la tomate ou est-ce- elle qui t’a séduite ? Secret d’amoureux, vous êtes  si mignons tous les deux. Toi, fringant et élégant, toujours jeune,  toujours vert, elle qui rougit encore et toujours lorsqu’elle est contre toi.

       De l’autre coté de la Méditerranée, il n’est pas un balcon, pas une fenêtre ou tu ne pointe le bout de ton nez. Tu entres moins souvent  dans les préparations culinaires mais  de la Tunisie au Liban, de l’Egypte au Maroc tu embaumes. Il fut un temps ou l’on appelait habaq, mais peu à peu ce nom est devenu désuet, le plus souvent tu es devenu raihan. Ce nom dérive de la racine arabe rih ou riha qui signifie odeur. Décidément, ton parfum continue d’obséder et de mener les hommes par le bout  du nez.    

 

Eros est sans doute plus fort que Thanatos, chez toi, après avoir été utilisé dans l’ancienne Egypte dans les rituels funéraires, tu es à nouveau happé par la vie et tu deviens le symbole de l’amour. Dans le conte de Boccace, amour et mort sont intimement liés puisque c’est sous un pot de basilic, que Lisabetta enterre la tête de son amant Lorenzo, l’arrosant de ses larmes. Sèchent les larmes, s’éloigne  la mort arrive, l’amour, la galanterie, la courtoisie. 

    

         L’amour et le basilic

              Ainsi, odorant basilic, toi aussi tu as dénoué le maléfice  qui souvent te reliait à la mort. Exit l’embaumement des momies, les rituels funéraires, tu cours vers l’amour, la vie. Et, bien que dans le conte de Boccace, amour et mort soient intimement liés, lorsque Lisabetta enterre la tête de son amant Lorenzo sous un pot de basilic, l’arrosant de ses larmes, autour des rives bleues de la Méditerranée, à partir du XV°siècle,Eros l’emporte sur Thanatos.

                      Il était une fois,  c’est ainsi que débutent les contes de fée de notre enfance, ceux où le prince est toujours charmant, galant, courtois et courageux, où la princesse est toujours belle et, dont le destin tragique prend fin à la venue de son prince qui dénoue les maléfices. Au Maghreb, c’est toujours ainsi qu’ils commencent : « Kan wa makan, fi qadîm zaman, l’habaq wa sussan. » (Il était une fois, dans l’ancien temps, un basilic et une fleur de lys.) Et toujours au Maghreb, dans un poème populaire, l’amoureux dit à sa bien aimée : « Tu es le basilic, je suis la rosée qui t’abreuve » ; Elle répondra : « Je suis une rose captive, avide d’être comblée » En Toscane, on te surnomme amorino, amor, amor, amor, tu en fais battre des cœurs. On raconte qu’un pot de basilic, qu’une femme ôte du rebord de sa fenêtre est un signal qui indique à l’amoureux que la voie est libre. Pour le conteur siennois du XV° siècle, Gentile Sermini, c’est suffisant pour t’affubler du surnom de fa da mezzano ( l’entremetteur.)Le rôle est bien joli, tu deviens celui qui réunit les amants. En Italie, toujours dans certaines régions, on t’appelle souvent bacia-nicola, embrasse-moi, Nicolas. L’origine de cette dénomination est obscure. Il peut s’agir d’une confusion entre les mots basilico et basinico. Quoiqu’il en soit, ton parfum me plait, m’enivre alors , je veux bien moi aussi comme les Italiens, un baiser, mille baisers, basilic.  Dammi un’ baccio, buss ni, embrasse-moi. 

       

Monique Zetlaoui

 

 

[1] Bécaud : « Les marchés de Provence » paroles de Louis Amande, musique de Gilbert  Bécaud

[2] Ghee : beurre clarifié, très utilisé en cuisine en Inde et dans les rituels religieux.

[3] Shakti : A l’origine, le mot védique signifie l’énergie, dans l’hindouisme, le sens s’est élargie et signifie l’énergie féminine de  toutes les divinités, ce qui en fait traditionnellement l’épouse de la divinité.

[4]Gopî : Vachères. C’est le nom donnée aux bergères qui adoraient Krishna lorsqu’il jouait de la flûte. En Inde, les amours de Krishna d et des gopî ont fait l’objet d’innombrables poèmes érotico-religieux et sont le thème favori des miniatures surtout dans le Sud.

[5] Bundadahisn : texte anonyme tardif du zoroastrisme (X°siècle)

[6] Yazata : ange

   Article repris de la revue Qantara (magazine des cultures arabe et méditerranéenne)

 

 

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