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Qui sont les Frères Musulmans, les inspirateurs d’Ennahdha?

 

Qui sont les Frères Musulmans, les inspirateurs d’Ennahdha? 

 

Dr. Khadija Katja Wöhler-Khalfallah* écrit - Ennahdha, l’ex-Mouvement de tendance islamique (Mti), dont Rached Ghannouchi est l’un des fondateurs et la figure idéologique première, après la démission d’Abdelfattah Mourou et Ahmida Ennaifar, faisait partie, jusqu’à la veille de la révolution tunisienne, du groupe des Frères Musulmans créé en 1928 en Égypte.

Certes dans sa présentation médiatique, Ennahdha se présente dans la tradition d’un islam tolérant tunisien, l’économie que le mouvement a l’intention de poursuivre, et qui montrait au passé encore une coloration communiste, semble prendre aujourd’hui une orientation vers le libre marché et son orientation politique sera démocratique. Pourtant, maints articles sur son site ne laissent aucun doute sur son rejet catégorique de la laïcité. Dans un article de Hussain Ben Issa, ‘‘En ce qui concerne la laïcité, l’identité et les libertés’’, aucun doute n’est laissé que l’islam ne connaît pas de séparation entre religion et gouvernement et que le gouvernement, bien qu’étant civil, sera soumis à l’autorité de la charia islamique. En plus, on peut constater dans la «loi inaugurale d’Ennahdha» que le mouvement mentionne, sous le point 2, «l’indépendance de la justice et la neutralité de l’administration», mais qu’elle ne mentionne pas la séparation de l’exécutif du législatif.
La problématique qui se pose, en s’appuyant dans la législation sur la charia, est, en premier lieu, que personne ne peut prévoir comment celle-ci sera interprétée. Ne sont-ils pas des hommes faillant qui auront à l’interpréter. Déjà une constitution bien formulée peut être détournée et mal interprétée, et que dire d’un texte religieux sur lequel il n’y a pas consentement.
Le 18 août 1999, alors 12 ans après la formulation la «loi inaugurale d’Ennahdha», Rached Ghannouchi m’a accordé une interview de trois heures à Londres. À la fin de la rencontre, M. Ghannouchi m’a répondu – à ma question sur sa position relative à la démocratie – qu’Ennahdha respectera le résultat des votes dans le cas où les autres parties obtiendront la majorité des voix. Une réponse qu’il a dû me répéter deux fois, car je voulais être sûre de l’avoir vraiment bien compris. En tenant compte de ses écrits, dont son livre sur les libertés générales dans un état islamique, cette réponse ne pouvait laisser qu’une seule conclusion: Ennahdha, en cas d’une majorité des 2/3, changera le système en une «théo-démocratie».
Sur le site du «European Council for Fatwa and Research», une émanation des Frères musulmans allemands (Igd), des Frères musulmans français (Uoif) et des Frères musulmans britanniques (Mab), Rached Ghannouchi est mentionné jusqu'à ce jour comme membre.
Le président de se conseil est Youssuf Al-Qaradhawi, l’idéologue le plus important des Frères Musulmans des temps présents. Dans maints écrits, Ghannouchi montre une admiration inconditionnelle pour sa personne.
Tout cela nourrit le soupçon que le lien d’Ennahdha avec les Frères Musulmans est loin d’être une marge close de l’histoire. Sans vouloir réduire les souffrances vécues par les sympathisants de ce parti religieux, sans vouloir lui dénier une bonne intention dans la mesure de sa vision du monde, il est indispensable de chercher à comprendre à quelle fin ce parti va emmener les Tunisiens, et à peser le pour et le contre de son système d’Etat pour éviter de tomber dans le piège d'une nouvelle dictature.
En cette étape difficile de passage d’une dictature à une démocratie, il convient de scruter tout mouvement qui réclame un rôle à jouer dans l’avenir politique de la Tunisie, les laïques comme ceux qui se réfèrent à la religion. Les débats ces dernières semaines sur le rôle que l’islam aura à jouer dans la culture sociale et politique de la Tunisie montre qu’il reste beaucoup de confusion à dissiper entre l’islam traditionnel tunisien et le fondamentalisme étranger au pays.

La pré-histoire du Mouvement des Frères Musulmans
La première tâche consiste à définir la nature idéologique des Frères Musulmans. On sait que ce mouvement a été créé par Hassan Al-Banna. Ce que l’on sait moins en revanche c’est que ce mouvement a été inspiré par deux personnes très influencées par le wahhabisme pratiqué en Arabie Saoudite: Rachid Rida et Muhibb ad-Din Khatib.
Rachid Rida, qui était l’élève de Muhamed Abduh, a commencé à changer d’orientation à la suite d’importants évènements qui se sont produits au début des années 1920. Tout d’abord, le roi saoudien de l’époque avait réussi avec ses guerriers, les «Ikhwan» (d’anciens nomades, conditionnés à devenir sédentaire et à adhérer au wahhabisme avec son «takfir», c’est-à-dire l’action de dénier à un musulman son appartenance à l’islam, et le droit qui en résulte de le tuer), à chasser le cherif Hussein, qui était détesté pour sa position pro-britannique du Hijaz. La famille Saoud qui au 19e siècle avait été vaincue par l’Égyptien Muhamed Ali et dont le wahhabisme était rejeté par la majorité des «ulémas» sunnites pour sa position bestiale contre d'autres musulmans, avait réussi à récupérer la plus grande partie de la péninsule arabe et de reprendre l’influence sur le rite du pèlerinage. Puis, en 1924, le califat a été aboli par Mustapha Kamal Atatürk en Turquie.
Rashid Rida était terrifié par la perte de l’autorité supérieure des musulmans, mais de l’autre côté, il était émerveillé de ce petit groupuscule qui avait été capable de chasser un potentat détesté. Pour lui c’était le wahhabisme qui avait donné aux combattants l’état d'esprit nécessaire pour poursuivre un but difficile et de le tourner en une victoire.
L’ironie de l’histoire est que les Britanniques étaient derrière le renforcement de ces groupes arabes dont on avait besoin pour défier l’empire ottoman. Dans son journal ‘‘Al-Manar’’, il a consacré plusieurs articles au wahhabisme et à la louange de la famille Saoud (qui, à ce stade, n’était pas encore riche). En un certain sens, c’est lui qui a urbanisé le wahhabisme rude qui avait vu le jour dans l’aridité du désert d’Arabie. Bientôt, il commença à s’occuper du jeune Hassan Al-Banna et le fit rédacteur en chef d’‘‘Al-Manar’’.
Muhibb ad-Din Khatib, pour sa part, défendait catégoriquement les intérêts saoudiens dans ses différents publications, dont ‘‘Az-Zahra’’ (1924-29) et ‘‘Al-Fath’’ (1926-48). Dans sa librairie au Caire avec imprimerie, ‘‘Al-Matbaa as-salafiyya wa maktabatuha’’, il vendait encore longtemps des livres de contenu wahhabite et salafiste.
Mais qu’est-ce exactement le wahhabisme, cette idéologie salafiste qui se réfère d'une façon très particulière aux Salaf as-Salah. Que sont ses signes distinctifs?
Le fondateur de cette secte est Muhammad Ibn Abd Al-Wahhab, né en 1703/04 à Uyaina dans la région du Nadjd dans la péninsule arabe. Partant du principe du ‘‘tawhid’’ (unicité), il recommande le rétablissement du califat absolu avec la charia non reformée, non adaptée au temps moderne, dans son état original il y a 1.400 ans. Ce qui implique la réactivation des châtiments archaïques, les «hudud», dont la lapidation, l’amputation des extrémités et la mort de l’apostat. Sans parler de la bestialité de ces châtiments, il suffit de jeter un regard en Arabie Saoudite, en Iran ou au Soudan pour s’imaginer quelle force d’oppression de telles pratiques constituent dans un régime qui manque d’institutions indépendantes capables de garantir un Etat de droit, et de tenir en bride l’abus de pouvoir.
Toutes réformes qui ne trouvent pas de correspondance dans la vie de Mohamed et des quatre premiers califes sont rejetées comme étant des «bida’» (trangressions), pluriel de «bid`a’’.
À l’égard de la femme, le wahhabisme est spécialement rigide. La seule éducation licite est l’éducation religieuse. Une séparation de la religion à la politique, c’est-à-dire le sécularisme et surtout le laïcisme, sont rejetés avec véhémence. Le «jihad» (combat) offensif doit être réactivé. Tout ceux qui ne suivent pas cette interprétation sont dits non-musulmans, «kouffar», qui doivent être tués (voir Muhammad Ibn Abd Al-Wahhab, ‘‘Kitab at-Tawhid’’).
En 1802 la tribu des Saoud, qui avait adopté le wahhabisme légitimant ses ambitions expansionnistes, a commis un massacre à Kerbala, dans l’Irak actuel, un des plus importants lieux de pèlerinage des chiites. À peu près 4.000 personnes ont trouvé la mort. Ils ont éventré les femmes enceintes et jeté les bébés sur la poitrine de leurs mères mortes. Après le pillage, ils ont détruit la tombe de l’imam Hussein qui est le petit-fils du prophète Mohamed. Tant que son père vivait, Wahhab n’osait pas prêcher ses convictions radicales. Plus tard, son frère a rédigé un livre qui condamne le ‘‘takfir’’ propagé par son frère (voir Sulaiman Ibn Abd Al-Wahhab an-Nadschdi, ‘‘Kitab as-sawa`iq al-ilahiyya fi ar-radd `ala al Wahhabiyya’’).

En quoi les Frères Musulmans se distinguent-ils des wahhabites?
En principe, ils suivent exactement les mêmes buts, avec quelques différences. Comme les wahhabites, les Frères Musulmans disent que les Musulmans, les chiites inclus, ont perdu leur foi initiale, mais au lieu de les tuer, il convient de les regagner par la mission, en influençant, par exemple, les systèmes d’éducation ou en offrant de l’aide sociale.
L’éducation peut s’étendre au-delà de la pure éducation religieuse. Selon les Frères, il est légitime d’enseigner toutes les technologies modernes, mais en rejetant les théories de l’ère des lumières et toute philosophie qui finit par nier l’existence de Dieu. De plus, ils se disent prêts à adopter quelques éléments de la démocratie, comme la séparation des pouvoirs, les élections, un parlement, sauf qu’ils exigent que les lois adoptées doivent être compatibles avec la «charia». Mais attention, Mawdoudi, par exemple, parle de la séparation des pouvoirs mais ajoute que les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, seront soumis à l’autorité du chef d’Etat, ce qui annule le principe de la séparation des pouvoirs. Ghannouchi, lui, a proposé un système de contrôle pour la «démocratie islamique» qui paraît consistante en elle-même, mais il n’est prêt à accepter que d’autres partis qui ne se constituent pas sur la base de la religion, à l’exception d’Ennahdha, reste dans la minorité. En tout cas, dans le programme d’Ennahdha, rédigé avant des élections de 1989, les idées élaborées par Ghannouchi ne sont plus mentionnées.
Les Frères Musulmans acceptent plus ou moins le travail de la femme tant qu’il ne dérange pas son devoir envers la famille. Surtout, pour pouvoir renforcer la séparation de la femme de l’homme, ils permettent que des femmes deviennent médecin ou institutrice. Pour bien être compris, les femmes instruites sont nécessaires pour éduquer les garçons. Hassan Attourabi, le Frère Musulman soudanais, mentionne qu’en état de guerre, les femmes capturées doivent être réparties équitablement sur les soldats musulmans. Sous les Frères Musulmans un homme aura le droit d’épouser quatre femmes et d’avoir tant de femmes esclaves qu’il puisse obtenir. La femme par contre, qui ne se comporte pas comme son mari l’exige, doit être corrigée. De plus, la femme n’aura que la moitié des voix d’un homme. Au Pakistan des femmes qui ont été violées et qui ont porté plainte contre l’oppresseur ont été emprisonnées parce que leur voix ne valait que la moitié de celle de l’homme qui les a violées.
Par-delà ces changements, le califat absolu reste un but et la «charia» doit être appliquée comme au temps du prophète et de ses quatre successeurs. Dès que la société sera ré-islamisée, ils recommandent la nécessité de réintroduire le «jihad» actif et la fin de la séparation entre politique et religion.

A suivre

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