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La "Nakba" des juifs ?

 

La "Nakba" des juifs ?

 

 

Par Laurent Zecchini

 

Et si, lorsque des milliers de Palestiniens ont célébré, en mai, la Nakba, cet anniversaire qui commémore leur exil et correspond à la naissance de l'Etat d'Israël, un nombre équivalent de juifs étaient descendus dans la rue pour, eux aussi, se souvenir de leur "catastrophe", leur départ forcé des pays arabes ? L'auraient-ils fait que les apôtres du politiquement correct se seraient récriés : il n'y a qu'une Nakba, celle des Palestiniens, fait historique incontestable bien que toujours nié, soixante-quatre ans après, par les partis sionistes israéliens !

Une seule Nakba, une seule souffrance ? Voire... De même que quelque 750 000 Arabes ont dû abandonner la Palestine en 1948, à la fois parce qu'ils ont été expulsés par les troupes de la Haganah, l'armée juive, et qu'ils ont fui la guerre, un nombre étrangement comparable de juifs ont été obligés de quitter les pays arabes, perdant souvent tous leurs biens. Mais, au fond, cette page controversée de l'Histoire a-t-elle de l'importance encore ? Oui, doublement.

D'abord parce que cet anniversaire est célébré chaque année par les Palestiniens. Ensuite, et surtout, parce que la Nakba renvoie au "droit au retour" des réfugiés palestiniens. C'est un "droit" politique et psychologique, puisque chacun sait qu'il est inenvisageable que des millions de réfugiés puissent revenir en Israël. Il n'empêche : officiellement, il reste l'un des grands dossiers des négociations entre Israéliens et Palestiniens.

La nouveauté est que le ministère israélien des affaires étrangères a décidé deressortir le carton poussiéreux de l'indemnisation des juifs, bref de brandir la"Nakba des juifs" pour, si l'on comprend bien, tenter d'équilibrer celle des Palestiniens. C'est le très radical Danny Ayalon, vice-ministre des affaires étrangères et membre du parti ultranationaliste Israel Beitenou, qui a pris la tête de ce combat.

Des instructions ont été données aux ambassades d'Israël pour tenter de faire reconnaître le sort funeste des réfugiés juifs. A Jérusalem, une commission parlementaire a fait chorus : la question de la compensation des "856 000 juifs"expulsés des pays arabes devra faire partie du règlement final israélo-palestinien. Mais quelle est la vérité de la "Nakba des juifs" ? Le plus simple est d'interroger les deux chefs de file des nouveaux historiens israéliens, Benny Morris et Tom Segev.

Le premier estime que le nombre de réfugiés juifs ne dépasse pas "700 000 personnes" et le second qualifie l'estimation de la Knesset de "très idéologique". Tous deux confirment que les juifs d'Irak, du Yémen, d'Egypte, du Maroc, deTunisie, d'Algérie, de Libye, de Syrie et du Liban ont dû quitter contre leur gré une terre parfois ancestrale, que des pogroms ont eu lieu, et que le montant de la spoliation des juifs d'Orient représente "des milliards de dollars". Benny Morris explique que si la communauté internationale pourrait peut-être se mettre d'accord sur l'indemnisation des réfugiés palestiniens, il y a peu de chances qu'elle en fasse autant pour les juifs.

Celle-ci serait théoriquement "juste", mais les juifs "sont réputés riches" et surtout, insiste-t-il, "ils ne sont pas réfugiés", contrairement aux 4,8 millions de Palestiniens enregistrés comme tels par les Nations unies. Les deux historiens critiquent l'approche idéologique visant à établir un lien entre les deux Nakbas. Les juifs d'Orient ont été "absorbés" en Israël (environ 600 000), ils n'ont aucune envie de revenir dans les pays arabes, et donc "le problème des réfugiés juifs est inexistant", tranche Benny Morris.

Tom Segev pousse le raisonnement : "Si Israël est la patrie de tous les juifs, et que tous les juifs qui s'y installent reviennent chez eux, parce que c'est ce qu'ils ont espéré pendant 2 000 ans - c'est la base de l'idéologie sioniste -, comment pourraient-ils être "réfugiés" ?" L'un et l'autre soulignent que, si les Arabes de Palestine sont à l'origine du conflit, les réfugiés juifs ont été autant les victimes des pays arabes que... du sionisme. En tout état de cause, les Palestiniens ne peuvent être rendus responsables du sort des juifs expulsés des pays arabes.

Alors pourquoi ressusciter la question de la "Nakba des juifs" ? "C'est un exercice de propagande politique, explique Benny Morris. Vous voulez parler du problème des réfugiés palestiniens ? Nous répliquons par les réfugiés juifs !" Curieusement, les jusqu'au-boutistes d'Israel Beitenou ne voient pas que de telles initiatives, qui donnent un regain d'actualité à la question du "droit au retour", sont contre-productives.

C'est pour cela que, pendant des décennies, les gouvernements israéliens successifs ont laissé dormir la "Nakba des juifs". Celle-ci conserve sa légitimité historique, mais, politiquement, elle n'a plus beaucoup de sens en 2012.

lzecchini@lemonde.fr

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Je ne sais pas pour les autres, mais en ce qui concerne les jeunes camarades juifs que j'ai eus au Lycée de Sousse, je ne me rappelle pas que quelqu'un les ait obligés en quoi que ce soit, pour les amener à quitter leur terre natale. Nous fûmes tous surpris un matin de 1962, par le fait que nos camarades, les Uzan, Cohen, Seroussi et autres Darmouni, originaires de Gabadji, de Boujaafar et des quartiers nord de Sousse, soient campés tous les uns derrière les autres sur l'aile droite de la classe, contrairement aux jours habituels où nous étions plutôt mélangés, sans complexes.
M. Taillefer, notre professeur de comptabilité, nous informa solennellement que nos camarades allaient nous quitter, sans préciser ni le pourquoi ni la destination. Nous ne les revîmes plus ...
Ce jour là, j'étais dans ma quinzième année, plusieurs des jeunes arabes ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait et plusieurs d'entre nous ont pris conscience qu'il y avait un problème, sans trop savoir lequel.
Plusieurs années plus tard, j'ai fait la connaissance à New York d'un compatriote juif qui devint mon ami pour quelques années, avant que je perde ses traces. Il m'avait expliqué cet exode des juifs tunisiens, résultant essentiellement de la réponse de la communauté "israélite", comme on disait alors, à l'appel de l'Etat d'Israel qui faisait tout pour ramener les juifs vers la terre promise, en matérialisant cette promesse par divers encouragements notamment financiers. Nombreux d'ailleurs sont les migrants qui ne restèrent pas en Israel et qui repartirent vers l'Europe et les USA, déçus qu'ils étaient par la discrimination qui leur était imposée et par les difficultés qu'ils avaient à s'insérer dans la société israélienne, composée surtout de juifs européens. Mon ami m'avait raconté l'histoire de sa maman, originaire de Béjà, qui s'est faite beaucoup de copines palestiniennes, avec lesquelles elle avait plus de facilité à communiquer, en raison de son manque de maîtrise de l'hébreu. Elle subissait de ce fait, une sorte d'isolement qu'elle ne supportait pas et qui l'amena à demander à son fils de la ramener ailleurs. Je l'avais vue chez lui plus tard, cette vénérable femme, ... une tunisienne authentique déracinée de sa terre.
Plus récemment et après la révolution, Israel n'a pas arrêté de faire des appels aux quelques juifs qui sont restés en Tunisie pour qu'ils quittent. Par la voix de leur Grand Rabbin, ils ont demandé à ce qu'on les laisse en paix dans leur pays.
Beaucoup de tunisiens pensent que les juifs tunisiens de la génération de l'indépendance qui ont pu garder des liens avec le pays, et ils sont nombreux, nous pensons qu'ils doivent revenir, non seulement pour participer à la restauration économique de leur pays, mais surtout pour contribuer à protéger la diversité de cette terre millénaire. On peut se demander si la majorité d'entre eux apprécie que l'état d'Israel marchande encore avec leur mémoire.

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