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L’histoire de Hannah, par Viviane Scemama Lesselbaum

 

L’histoire de Hannah

 

Au moment de l’annexion de la Pologne par les Allemands, en novembre 1939, une minorité de la bourgeoisie juive se replie dans les quartiers non juifs de Varsovie.

 

Veuf depuis quelques années, le vieux Rebbe, cordonnier de son état, est très tourmenté quant à l’avenir de sa fille unique Hannah qui va vers ses trente ans. C’est une jeune fille douce et effacée. Sa chevelure rousse et bouclée encadre de grands yeux noirs au regard profond ; le reste du visage, sans fard, nous fait découvrir une bouche vermeille aux contours bien dessinés.

Les beaux partis se font rares. Le Rebbe pense souvent à Schmuel, le fils de son meilleur ami. Ce garçon peu instruit et déjà fort âgé possède un certain bien que lui ont légué ses parents. L’idée de les marier ne lui déplaît pas. Cependant Hannah trouve mille prétextes pour éviter cette alliance.

 

Un jour de pluie, une silhouette d’apparence bourgeoise vient s’abriter sur les marches de la boutique, tout contre la porte vitrée. Hannah essuie la buée qui s’est formée, hésite quelques instants puis ouvre l’un des deux battants. Surpris, le garçon se retourne et esquisse un sourire. Les yeux baissés, avec une certaine gêne et d’une voix à peine audible, elle lui fait signe de s’abriter à l’intérieur. Il accepte l’offre et le prie de s’installer sur l’un des deux tabourets. Elle demeure silencieuse pendant un moment puis lui prépare un thé qu’il n’ose pas refuser. Elle monte à l’étage dans sa chambre, se dirige vers l’unique miroir, rectifie sa mise, se recoiffe et revient s’installer auprès du jeune homme qui, à l’instant même se lève, prêt à partir.

« La pluie s’est arrêtée, je vous remercie. »

« Mon père est artisan, il pourrait vous faire des bottines sur mesure si vous le désirez. » 

 

Une semaine plus tard, il réapparaît et passe commande d’une paire de bottines de cuir fin pour shabbat. Pendant les essayages, Hannah affecte une certaine réserve face au garçon.

Les bottines prêtes, il se rend vendredi matin à la boutique pour en prendre possession. Le Rebbe absent, elle lui remet les bottines. Il semble satisfait.

Il sort sa bourse, dépose les zlotys sur le comptoir, mais Hannah esquisse un geste de refus. « Vous ne devez rien, nous vous les offrons. » Décontenancé, le garçon accepte le cadeau.

Après son départ, Hannah remonte à l’étage et prélève dans ses économies la somme qui doit correspondre au coût des bottines.

 

Le garçon est de retour la semaine suivante. D’une valise de toile, il sort un volumineux paquet qu’il pose sur le comptoir. Elle ne comprend pas et semble embarrassée.

« Qu’est-ce que c’est ? » 

« C’est pour vous, je pense qu’elle doit vous aller. » 

Hannah défait le paquet en sa présence. C’est une pelisse de cuir noir agrémentée d’un col de fourrure de couleur bordeaux. Confuse, elle le remercie d’un sourire. Intimidé, il prend congé d’elle.

 

La pelisse est dissimulée au regard de son père. En son absence, elle la sort du placard, l’étale sur son lit, la retourne dans tous les sens et s’allonge dessus quelques instants. Elle se relève, pose le vêtement sur ses épaules et se place devant le miroir au tain abîmé. Elle remonte la fourrure à la hauteur des joues : sa chaleur lui paraît humaine. Dès que les premiers pas du Rebbe se font entendre, elle la range sur le haut de son armoire. 

 

Un mois, deux mois, trois mois passent. A longueur de journée, Hannah soulève le rideau de la porte-fenêtre, feint d’essuyer la buée et scrute l’infini. Tous les jours, elle nourrit l’espoir de revoir ce garçon. La tristesse marque son visage et le Rebbe parait de plus en plus soucieux quant à son devenir.

1939 prend ses quartiers d’hiver. Languide, assise sur l’un des tabourets, son regard se pose sur le journal yiddish du jour qu’elle n’a pas encore parcouru.  En gros caractères, la manchette étalée lui saute aux yeux : « La construction du mur qui ceinturera le ghetto est achevée. »

 

Viviane Scemama Lesselbaum

 

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"L'histoire de Hannah" est l'une de mes nouvelles extraite de mon dernier ouvrage: "L'avant-dernier marrane », et que je vous demande de joindre à mon témoignage, de diffuser, de transférer à vos connaissances ou lecteurs, m’a été inspiré un soir dans un atelier d’écriture auquel je participais en France.

 

 

En « rendant la copie », chacun son tour, nous faisions, à haute voix, la lecture du texte produit, comme c’est la coutume dans ces ateliers. L’animatrice, pour l’histoire de Hannah, a sorti un Kleenex.

Cette nouvelle, que j’ai inventée de toute pièce, me bouleverse toujours autant. J’y crois, je plains l’héroïne à qui j’ai donné une existence, lui ai proposé une belle histoire d’amour à offrir, à partager ; cette chaleur proposée, recherchée et qui, finalement, lui échappe.

Ma gorge se noue à nouveau en vous écrivant ce petit texte.

À l’occasion de la journée de la Shoah, auxquelles nos pensées iront, et non l’holocauste, bien que bon nombre se plaisent à employer ce terme et que bien que nous y sommes allés comme des bêtes à l’abattoir, sinon que le sacrificateur, plus communément appelé « shorêt », prendra mille précautions pour épargner que la bête ne souffre pendant l’abattage.

Malheureusement les nazis n’ont eu aucun scrupule pour les six millions de « bêtes humaines» que nous représentions à leurs yeux.

Un jour on posa la question suivante à Guy de Maupassant : « Que deviennent vos héros ? »

Voici la réponse qu’il fit : « Ils vivent leur vie, çà les regarde ! »

C’était bien avant la Shoah…

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je viens de relire l'histoire de Hannah ,,, elle me bouleverse a chaque fois que je la lis... c'est tellement émouvant et vrai a la fois...
j'ai achete et lu ton livre et je te remercies d'avoir parle de l'Atelier d'Ecriture que j'ai pu suivre avec toi a NETANYA,,, Et qui m'a apporte beaucoup de connaissances que j'ignorais
encore BRAVO et MERCI VIVIANNE
Gaby qui t'EMBRASSE

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