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Discus: ADRA : LES COMMENTAIRES D'HARISSA: Commentaires 2006: Commentaires Fevrier 2006: Archive jusqu'au 13/février/2006
Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Emile_Tubiana (Emile_Tubiana) le lundi 13 février 2006 - 03h38:

Comprendre L'islam

L’ISLAM ET LA VIOLENCE UNE ANALYSE SELON TROIS RATIONALITÉS POUR TENTER DE COMPRENDRE LES ATTENTATS DU 11 SEPTEMBRE par Hamadi Redissi (Université de Tunis) et Jan-Erik Lane (Université de Genève)

Introduction

Les événements de 11 Septembre 2001 posent naturellement la question de la place de la violence dans l’Islam et le monde Arabo-Musulman. Il faut aller aux sources pour comprendre notre façon de penser cette violence et confronter avec la théorie classique du Coran avec cette utilisation, par les terroristes, de la terreur. Dans ce qui va suivre, nous allons présenter les diverses rationalisations de la violence en tant que moyen vers une fin. On peut, du point de vue d'une évaluation normative, légitimement douter de la rationalité en valeur de la violence. Cependant, celle-ci est conçue d'un point de vue téléologique comme une continuation de la politique de domination de l'islam par d'autres moyens.

Nous verrons ensuite comment le terrorisme trouve difficilement sa place dans cette logique. Avant de présenter, pour finir, les trois « rationalités », nous devons, au préalable, donner quelques clefs pour comprendre le statut de la violence dans l’islam.

Max Weber a, dans sa théorie comparative et magistrale sur les grandes religions du monde, incluse dans Economie et Société (1971), seulement considéré que le but du Djihad est l'appétit territorial et les chances de gain prébendal. Sa théorie est donc insuffisante aujourd'hui. Le Djihad se conçoit différemment à notre époque car les choses prébendales ne jouent pas une importance similaire comme à ses débuts.

Le statut de la violence dans le Coran

La violence s'insère entre deux principes contraires : le respect de la vie et la tolérance.

Le respect de la vie et de l'intégrité physique sont constamment invoqués par le Coran. Il est prescrit de ne pas tuer injustement (6: 151) : celui qui tue un homme qui, lui-même, n'a pas tué est considéré comme s'il avait tué tous les hommes. Cela est ainsi prescrit aux fils d'Israël (5: 32). La punition n’est autre que l’enfer (4: 91-92).

Le second principe est la tolérance. Depuis le XIXème siècle jusqu'à nos jours, la pensée islamique a dû recourir à l'exégèse afin de valoriser les vertus de tolérance. De l'ensemble des versets mis à contribution, on peut dégager trois idées forces: la croyance est une affaire privée ; la prophétie est une mission de témoignage et non une volonté de domination; enfin est souligné le droit à la différence religieuse.

Ces versets personnalisent tout d’abord la croyance, c'est-à-dire qu’ils en font une affaire privée : "ô vous qui croyez! vous êtes responsables de vous mêmes. Celui qui est égaré ne vous nuira pas, si vous êtes bien dirigés » (5 : 105) ; ou encore : "quiconque est bien dirigé, n'est dirigé que par lui-même. Quiconque est égaré n'est égaré qu'à son propre détriment. Nul ne porte le fardeau d'un autre" (17 : 15).

Les versets affirment ensuite que le pro­phète a une mission éthique, en particulier le devoir de prévenir les incroyants : "fais entendre le Rappel ! Tu n'es que celui qui fait entendre le Rappel et tu n'es pas chargé de les surveiller" (88 : 21-22). Une telle contrainte relève de la volonté divine absolue : "si ton Seigneur l'avait voulu, tous les habitants de la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les hommes à être croyants, alors qu'il n'appartient à personne de croire sans la permission de Dieu ?" (10 : 99-100). Enfin, nous pouvons citer des versets relatifs au droit à la différence: "pas de contrainte en religion" (2 : 256)

Du reste, chacun campe sur sa propre position : les incrédules n'adorent pas la religion de Mohammed et celui-ci a sa propre religion, et se dévoue à son propre Dieu qu'il adore.

Responsabilité personnelle de la croyance, mission de témoignage et droit à la différence religieuse : tels sont donc les trois arguments avancés par les libéraux pour démontrer l'existence d'une tolérance fondatrice en islam. Il furent déjà élaborés au XIXème siècle lors du premier stade par Mohamed Abduh et repris, depuis, par un grand nombre de musulmans contemporains[1].

C’est entre les deux principes que s'insère la violence. Il faut rappeler que le Coran n'a pas un seul mot pour rendre compte de la notion de la violence ('unf), mais plusieurs autres comme la loi de talion (qiçâs), la guerre (harb), le combat meurtrier (qitâl), la guerre sainte (jihâd), couper les têtes (dharb al-riqâb).

Nous devons signaler que les termes auxquels a actuellement recours la logique guerrière, tels que "éradication" ou "extirpation des racines de l'extrémisme", relèvent d'un langage politique récent. Les anciennes expressions avaient d'autres mots pour rendre compte de la même stratégie.

Comme nous l'avons signalé, l'interdiction formelle du meurtre souffre d'exceptions. Ainsi, la loi de Talion (Ex. XXI : 23-25, Lév.XIV : 17-20, Deut. XIX, 21) dont l'équivalent en arabe est qiçâs : "l'homme libre pour l'homme libre, l'esclave pour l'esclave, la femme pour la femme "(2 : 178 ; 5 : 45) sans oublier la légitime défense (2 : 194). En droit public, il faut, bien sûr, mentionner l'acte de guerre sainte ou jihâd (9 : 5), ou la lutte pour rétablir l'ordre public confessionnel.

Il est évident que l'islam, comme toute monothéisme, valorise la paix (silm ou salâm) qu'il assimile à la sécurité, au Salut et parfois à l'islam lui-même par dérivation sémantique de la même racine (S.L.M.). La formule de salutation entre les musulmans est "salut et paix sur vous" (salam 'alaykum) : ceux qui croient entrent dans la Paix (2: 208). Dieu dirige sur le chemin du Salut (salâm) (V, 16).

Pourtant, la guerre, bien qu'elle soit détestable, a une finalité légitime. L'islam a un jus ad bellum (droit à la guerre) et un jus in bellum (le droit dans la guerre). Sur la base d'indications coraniques et de la pratique, la doctrine juridique a élaboré une théorie. Il y a, en effet, plusieurs espèces de djihad: - le djihad équivalant à l'effort contre soi-même, ses inclinations naturelles ou contre l’adversité.

- le djihad par le cœur, la langue, la main et l'épée. La théorie du "combat sacré" (guerre sainte, légale et juste) est ainsi élaborée[2].

Mais, de même que les croisades qui ont plusieurs sens dont un seul est standardisé, le djihad s'est fixé comme étant la guerre par les armes. La guerre se subdivise elle-même en guerre offensive, défensive, contre les polythéistes, les gens du Livre, les rebelles, les renégats...

Il est aussi possible de faire une distinction entre la guerre sainte et la guerre d'intérêt général. La guerre sainte est déclarée contre les non musulmans, les païens et les gens du Livre (juifs et chrétiens). Les païens doivent être islamisés et les gens du Livre peuvent garder leur religion en contre partie de l'impôt de capitation. Les guerres d'intérêt général ne sont pas saintes. Elles ont lieu entre musulmans, notamment pour le rétablissement de l'ordre public confessionnel contre les rebelles, les renégats et les brigands. Les règles de la guerre varient selon qu'elles sont saintes ou d'intérêt général.

La division du monde selon Islam

La Sharîa ne contient pas, à proprement parler, de droit international. Mais on peut dégager dans la sharîa des principes qui régissent les entités internationales et des règles de droit humanitaire. L'islam est une religion formelle et universelle. Dieu est un, mais les hommes sont séparés en tribus et en peuples. La religion musulmane, se considérant comme la dernière, s'est donnée une doctrine qui divise l'univers en trois mondes. Cette division n'a pas de base coranique solide, mais fait partie de la doctrine juridico-politique.

Le premier monde est le monde ou maison de l'islam (dar al-islam). Il ne s'agit pas d'un territoire géographique mais d'un espace religieux intra muros. C'est le monde où la loi islamique ou Sharia est souveraine, appliquée et respectée. Ce monde est considéré comme celui de la paix, de la sécurité et de la justice. Il regroupe les Musulmans, les minorités soumises et protégées, et les étrangers de passage.

Le second monde ou maison est le monde de la guerre (dar al-harb). C'est un monde hostile, extra muros, qui applique une loi non islamique ou bien dans lequel les musulmans ne peuvent pratiquer leur religion. Il est également le monde de l'insécurité et de l'injustice. Il peut être lointain ou limitrophe au territoire de l'islam.

Le troisième monde est le monde de la réconciliation ou de l'alliance dit dar solh. Il s'agit d'un territoire neutre, qui n'applique certes pas la loi musulmane, mais avec lequel l'islam entretient des rapports pacifiques. Tel fut le cas de l’Ethiopie, de la Nubie (une partie de l’Egypte) et de Chypre.

Or, dans la société contemporaine, les choses ont changé. Nous pouvons penser à un quatrième monde non prévu par la Sharîa. En effet, les Etats arabes (au nombre de 22) et islamiques (57, y compris les Etats arabes) sont aujourd'hui des Etats indépendants et souverains. Comme nous l'avons vu précédemment, le droit interne qui les régit a aboli la distinction entre infidèles et gens du Livre. Les constitutions reconnaissent la liberté de conscience et les gens du Livre ne paient plus l'impôt de capitation. De plus, ces Etats sont membres de l'organisation des Nations-Unies qui interdit le recours à la force et régit les rapports entre Etats sur la base de la coopération internationale pacifique. En adhérant à cette organisation, les Etats arabes et islamiques ont, de jure, abandonné la distinction entre monde de l'islam et monde de la guerre. Ils l'avaient fait bien avant : dès la fin du moyen-âge, en effet, les pays islamiques ont cessé de propager l'islam par la violence. Ils ont été depuis la fin du XIXe siècle, plutôt l'objet d'une violence adverse coloniale que les sujets actifs d'une islamisation universelle du monde.

De plus, les Etats occidentaux ne peuvent plus être assimilés à une « maison de la guerre ». De nombreuses minorités musulmans y vivent dans des conditions différentes du Moyen-Age. Ils jouissent plutôt d'une liberté de croyance, au point qu'ils se trouvent parfois persécutés davantage dans les pays musulmans qu'en Occident. L'un des intellectuels les plus en vue actuellement en Europe, Tariq Ramadan, propose pour les Musulmans vivant en Occident de considérer l'Occident comme une "maison de témoignage" où ils peuvent pratiquer leur islam pacifiquement. Seul le radicalisme islamique continue à penser le monde selon l'ancienne distinction, faisant de l'Occident, une maison de la guerre.

Nous pouvons à présent aborder le problème de la violence politique à partir de l'actualité de 11 Septembre: existe-t-il, en islam, une théorie du meurtre politique ? Si oui, l'élimination systématique des adversaires politiques se justifie-t-elle? Y a-t-il, en islam, une "essence" dangereuse du politique - analogue à celle dont parle Carl Schmitt - comme étant une discrimination entre amis et ennemis, sur la base d'une communauté existentielle qui légitime, plutôt status religionis que status naturalis, le droit donner la mort et de la recevoir[3] ?

Dans l’Islam on peut identifier trois rationalisations différentes de la violence. Les deux premières sont liées à la guerre sainte, la troisième à la guerre d'intérêt général. Mais toutes les trois portent le dispositif cognitif qui fabrique de l'ennemi. Ce dispositif est constitué de trois alternatives logiques: l'islam ou la mort, l'islam ou l'humiliation, le repentir ou la mort.

La rationalité prosélytiste

Vis à vis des païens, infidèles et polythéistes, l'alternative est exclusive: l'islam ou la mort. On l'appellera la « rationalisation prosélyte » sur le mode coge entrare que Weber a complètement occulté au profit de la seconde rationalité: la rationalité prébendale.

En effet, contre les polythéistes pèse le devoir de les tuer selon une tradition bien établie. Elle se fonde sur de nombreux versets, notamment celui de l'immunité dit également « de l'épée ». Les païens ne devront la vie sauve que s'ils embrassent l'islam: "O Prophète! Combats les incrédules et les hypocrites ; sois dur envers eux!" (9: 73). Bien entendu, cet ordre se trouve contrebalancé par près de 124 autres versets qui appellent les musulmans à la patience, à la tolérance, à l'amnistie et au pardon. Néanmoins, ce verset est capital car il figure dans le chapitre neuf du Coran qui accorde l'immunité (barâa) au prophète qui avait déjà conclu une trêve avec les infidèles de la Mecque: "après que les mois se seront écoulés, tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez, capturez-les, assiégez-les, dressez-leur des embuscades" (9 : 5). Il s'agit d'une lecture canonisée par l'exégèse classique qui estime que ce verset a abrogé entre 114 et 124 versets sur la tolérance et la libéralité à l'égard des incrédules. Ce sont d’ailleurs ces versets que font valoir les partisans qu'on peut appeler « spinozistes », favorables à une interprétation charitable du Coran.

Intéressons nous dès lors aux conditions historiques d'énonciation de l'alternative. Lors de la bataille dite de Bedr (624 A.D), le prophète victorieux fit quelques cinquante prisonniers parmi lesquels se trouvaient des membres de sa famille et de nobles de koraysh, sa propre tribu, encore infidèle. Il consulta ses compagnons. Omar lui recommande de les mettre à mort et Abou Bakr de les épargner. Le prophète hésita. Après avoir comparé Omar à Noé et Moïse qui implorèrent leur seigneur pour anéantir leurs ennemis, ainsi qu’à Abraham et Jésus qui plaidè­rent auprès de leur seigneur l'indulgence et la miséricorde, il tran­cha pour la rançon prélevée sur les nobles koraychites au profit des convertis, pauvres et miséreux. Dieu intervint pour faire des re­proches à son envoyé. Quoi! tu combats pour l'acquisition du butin et non à l'effet de rendre victorieuse la religion d'Allah de toute autre ? Dans le texte, en effet, "il n'appartient pas à un prophète de faire des captifs, tant que, sur la terre, il n'a pas complètement vaincu les incrédules". Dieu ajouta : "si une prescription de Dieu n'était déjà intervenu, un terrible châtiment vous aurait atteints à cause de ce dont vous êtes emparés" (8 : 67-68). Depuis, la tradition fixe les termes de l'alternative pour les polythéistes : l'islam ou la mort. Toutefois, plus tard, les théoriciens, sûrement consciente de la brutalité du dilemme, le corrigèrent en ad­joignant au vainqueur d'autres possibilités, se fondant sur la base d'un autre verset : il aura, à son avantage, le choix entre leur mise à mort, exiger d'eux une rançon, en faire des esclaves, ou enfin les gracier (47 : 4).

Le chapitre neuf du Coran est devenu une pièce maîtresse du dispositif islamiste. C'est Sayyid Qutb qui en fera la théorie, en assimilant les Musulmans vivant en terre d'islam à des infidèles vivant dans l'âge paganique et polythéiste. C'est la théorie dite de la nouvelle "jahiliyya" (paganisme pré-islamique) et qui justifie le meurtre du tyran comme Sadate, par exemple.

La rationalité des gens du Livre

La seconde alternative pèse sur les gens du Livre, les juifs et les chrétiens auxquels on ajoutait les Sabéens, descendants de la reine de Saba, les Samaritains et les perses Zoroastriens qui ont, dit-on, un "semblant" de Livre ou un « quasi-livre ». Le fondement de ce statut est le Coran : "combattez ceux qui, parmi les hommes ayant reçu des Livres révélés ne croient pas en Allah ni au jour suprême, qui ne déclarent point interdire ce qu'Al­lah et son Apôtre ont déclaré interdit et qui ne professent point la religion de la vérité, jusqu'à ce qu'ils versent la capitation de leurs propres mains et avec humiliation" (9 : 29). Le texte est clair, et son exégèse constante confirme le devoir de combattre les gens du livre. La seule note positive consiste à dire, de la part des interprètes, que l'humiliation signifie, par euphémisme, que les prescriptions is­lamiques les régissent.

Alternative malheureuse certes, mais une alternative non exclusive néanmoins, qui empêche de penser qu'on est devant une guerre totale à caractère exterminateur. Il faudra plutôt parler d'une tolérance résiduelle sou­vent consacrée par des traités de protection entre les musulmans et les gens du Livre.

Toutefois, le point de départ fut la guerre entre musulmans et juifs. En effet, à Yadhreb, future Médine, coexistaient deux tribus Arabes fraîchement islamisées, mais en compétition tribale an­cestrale : les Awz et les Khazrej, ainsi que trois tribus juives : les Bani Qaynoqâ, les Bani Nadhîr et les Bani Qorayzha. Les deux premières furent chassées entre 624 et 625, et la troisième littéralement décimée, deux années après. L'historien Tabari raconte comment on se faisait la guerre, on mourrait, on abdiquait, on se convertissait et on fuyait sans que la montée aux extrêmes n'aboutisse à une véritable extermination collective. Mais alors, pourquoi un tel méfait a-t-il été commis?

En fait, on a reproché aux juifs de s'être compromis avec les Arabes mecquois polythéistes lors de la bataille du Fossé dite du Khandag (627), du nom d'un fossé que les convertis avaient creusé pour protéger Yadhreb (Médine). Aussitôt que les mecquois furent repoussés, soit l'après-midi même, le prophète s'en prit aux Bani Qorayzha.

Cet ar­gument purement politique n'épuise pas la question puisque, d'après l'historien classique de l'islam, Tabari, le pro­phète a été visité par l'Ange Gabriel qui lui a enjoint de marcher sur les juifs et l'a informé que les Anges avaient décidé de ne pas déposer les armes[4].

Le Coran fait écho à cette victoire : "il a fait descendre de leurs forteresses ceux des gens du Livre ralliés aux factions. Il a jeté l'effroi dans leurs cœurs. Vous avez alors tué un partie d'entre eux et vous avez réduit les autres en captivité" (33 : 26).

Dans ces deux rationalités prosélyte et prébendale, les combattants obéissent à un jus in bellum, la loi de la guerre juste: l'ultimatum, le siège, l'utilisation des moyens techniques nécessaires à la victoire. La trahison, la perfidie, l'emploi de flèches empoisonnées, la destruction massive des habitations, et autres moyens inadmissibles sont l'objet d'une discussion entre juristes. Les uns les admettent, d'autres les prohibent. Au cours des hostilités, l'ennemi doit, quoi qu’il en soit, être traité avec justice (5:2), respect (6:109) et miséricorde (2: 195). En cas de victoire, les non combattants, les femmes, les enfants, les vieillards, les moines et laïcs, les domestiques et esclaves deviennent des prisonniers. Ils font partie, avec leurs biens, du butin de guerre. Ils peuvent être graciés, réduits en esclavage, être vendus, ou peuvent payer une rançon contre leur liberté. S'ils sont monothéistes, ils versent l'impôt de capitation.

Il est nécessaire de rappeler que les gens du Livre (révélé) avaient un double statut : un statut théologique suspect et un statut légal de protégés. Théologiquement, ils étaient, à la fois des amis et des ennemis. Amis du fait que leurs Livres, leurs croyances et leurs récits sont des sources d'autorité, d'inspiration, et des preuves scripturaires indiscutables pour les Musulmans. Ennemis, ils étaient suspectés de travestir les Ecritures, et étaient assimilés, pêle-mêle, à des hypocrites, des menteurs, des injustes. Légalement, la considération était différente selon qu'ils étaient armés ou désarmés. Armés, ils obéissaient à la loi de la guerre: la mort des combattants et la distribution du butin de guerre. Désarmés, ils bénéficiaient du statut de "protection" : ils faisaient partie de la maison de l'islam, sans faire partie de la communauté des musulmans. Ils payaient un impôt de capitation dit "Jeziya", un impôt personnel qui concerne les mâles saints d'esprit et épargne la femme, l'enfant, le dément, l'esclave et l'hermaphrodite douteux, considérés comme des appendices dépourvus de personnalité juridique propre. En contrepartie, ils pouvaient s'adonner librement à leur culte, dans l'infériorité et l'humiliation. Protection, autonomie et paiement de la capitation, telles sont donc les trois principes qui les régissent. C'est ce qui a permis à l'islam médiéval de gérer les ethnies et les minorités religieuses, lesquelles se sont maintenues jusqu'à nos jours, un peu partout, au point qu'on a parlé de l'islam comme d'une mosaïque d'ethnies, de minorités et de confessions. Il faut attendre les Temps modernes, lorsque les pays islamiques adoptèrent des chartes comme Khatt Homayun turc en 1834 et le pacte de 1957 en Tunisie, sous la pression européenne, pour que soit reconnu aux gens du livre le statut de citoyen à part entière, au même titre que les musulmans[5].

Le feu de la guerre sainte, cette "épopée populaire musulmane type" - pour reprendre l’expression de Massignon[6] -, va être rallumé dans le second moment du nationalisme, contre le colonisateur assimilé au nouveau croisé. Une fois l'indépendance acquise, les régimes ont tenté de déplacer le sens du djihâd vers la lutte contre la pauvreté et le retard. De leur côté, les exégètes libéraux ont rappelé que le sens du djihad était,[7] d'abord, l'effort contre soi-même en vue d'une perfection. Toutefois, ceci n'a pas pu calmer les ardeurs et encore moins effacer de la religiosité populaire ce mythe du combattant qui s'offre en martyre, en hâte de rejoindre le Paradis promis, sans avoir à rendre compte de la manière avec laquelle il avait, sa vie durant, obéi aux préceptes.

La guerre sera prise en charge une troisième fois par l'islamisme radical. Une nouvelle ère pour la "sédition confessionnelle" commence. A titre d'exemple, l'émir du groupe terroriste égyptien "anathème et apostasie", devant la cour de sûreté de l’état, en 1977, répond avec une franchise déconcertante à une question du juge : "pour ce qui est de la guerre aux juifs, et du point de vue légal, c'est un devoir imposé à la communauté islamique et c'est ce que nous ferons, si Dieu le veut, quand nous prendrons le pouvoir"[8]. Ainsi se reforme une chaîne de la guerre, du mouvement Hamas au GIA algérien, en passant par le "chi'isme mortifère" fasciné par le sacrifice de l'imam Hussein[9]. On a alors parlé de violence motivée par le désespoir rédempteur qui réagit contre une société plus attirée par les plaisirs qu'éprise de rigueur protestante! Probablement. En tout état de cause, le constat massif est là : des étrangers, des touristes, des religieux et coopérants sont assimilés, pêle-mêle, aux gens du Livre, à des croisés, des profanateurs, suppôts d'un complot colonialiste[10]. Et l'objectif avoué est simple: la conversion de l'humanité en "oummanité"[11].

Certes, on peut légitimement s'insurger contre la confusion opérée, par exemple, entre le touriste, les gens du livre et les croisés. Le statut de "dhimmis" (protégés) a disparu en islam contemporain et le séjour des étrangers obéit aux dispositions du droit moderne. Mieux, l'islam classique sublimait la figure de l'étranger qui bénéficiait de l'hospitalité quasi-légendaire des Arabes, une sorte d'éthique de l'honneur bédouine, dite "al-muruwa", vis à vis du voyageur et du mendiant. Protection, honneur, revanche, sacrifice, loyauté et hospitalité, tel est le contenu de la muruwa. Goldziher, dont Weber s'inspira, ira jusqu'à voir dans la muruwa une éthique chevaleresque, la virtus latine[12]. Le sublime est atteint dans la littérature notamment dans un texte de Tawhîdi, auteur du 10ème siècle, sur l'étrangeté à soi-même: "l'étranger est celui qui est étranger dans son étrangeté même"!

Néanmoins, dès qu'on se situe sur le terrain juridique, la fi­gure mythique de l'étranger hôte, s'évanouit pour céder la place ou bien au protégé ou à l'ennemi croisé. Mais, si le protégé vient à violer pacifiquement le contrat de capi­tation, en refusant de payer le tribut, par exemple, il est, au meil­leur des cas gracié par l'imam ou expulsé du territoire de l'islam au besoin manu militari, et au pire des cas mis à mort ou réduit en esclavage. La protection peut s'étendre à l'ennemi harbî (guerrier) pourvu que le musulman lui consente l'amân, un sauf-conduit qui protège sa vie et ses biens conformément au principe du respect de la parole donnée[13]. Il peut séjourner, jusqu'à une année, en terre d'islam sans payer de tribut, mais sans pouvoir non plus bénéficier de la protection due aux gens du Livre. Si l'un et l'autre, prennent les armes, ils redeviennent ennemis.

Weber ne pouvait voir la transformation, hic et nunc, de la rationalité prébendale en vue des butin en une rationalité prosélyte: l'islamisme radical est plus obsédé par la sédition confessionnelle que par les chances de gains économiques. Aujourd'hui la rhétorique de la violence islamiste permet alors d'exécuter des innocents comme si les croisades sont encore "un chapitre d'histoire contemporaine"[14]. A l'âge classique, les choses étaient plus claires: les Francs, croisés, payaient de leur vie[15], ou bien ils étaient contraints de payer un droit de passage[16], une rançon à l'ordre des assassins dont les adeptes étaient – le paradoxe est suggestif - déguisés justement en moines. S'agissant d'un usage, il arriva même, d'après Lewis, que les assassins eux-mêmes paient un tribut au chevaliers Francs !

Actuellement, la question est de savoir qui doit payer, et à qui, une taxe de protection ou un droit de passage. Et à supposer que le non musulman se hasarde à proclamer son athéisme, il sort de la catégorie des gens du Livre pour devenir un païen justiciable d'une mort licite!

La rationalité étatique

La troisième légitimation de la violence s'insère dans la rationalité étatique wébérienne, à savoir le monopole de la contrainte légitime de la part de l'État. Elle oppose les Musulmans à eux-mêmes, l'orthodoxie aux sectes ou pour employer le langage moderne, les dominants aux dominés. Son alternative est la mort ou le repentir.

L'enjeu est similaire à celui-là même qui agite l'islam aujourd'hui: l'ordre public et les vrais préceptes de l'islam. L'histoire des schismes en islam est parfois aussi compliquée qu’inutile. Pour nous contenter des figures en rapport immédiat avec l'actualité, nous en retiendrons trois: la transgression, la rébellion et l'apostasie. Excepté, et ceci est essentiel, pour une compréhension du statut de la guerre: ces actes guerriers sont censés relever non de la guerre sainte, mais des guerres d'intérêt général ayant pour but le rétablissement de l'ordre public religieux.

Mais d'abord, à quel ordre divin les Musulmans s'adossent-ils pour se faire la guerre? Le Coran est d'un secours exemplaire : "si deux groupes de croyants se combattent, rétablissez la paix entre eux. Si l'un des deux se rebelle encore contre l'autre, luttez contre celui qui se rebelle, jusqu'à ce qu'il s'incline devant l'ordre de Dieu" (49: 9). Le Coran utilise le verbe baghat, c’est-à-dire transgresse, se détourne de la concorde, sort des limites, alors que la traduction utilise le verbe réducteur: se rebeller.

Premier terme classique pouvant ainsi servir à qualifier ce que les pouvoirs publics entendent aujourd'hui par les bandes hérétiques armées: les gens de la transgression ou de la désobéissance (ahl al-bagha), ceux qui désobéissent à l'autorité centrale, non à titre individuel, mais en bande. Certains vont jusqu'à proclamer que le djihâd qui est mené contre les excessifs est "aussi valable, sinon davantage que celui conduit contre les infidèles"[17]. En droit public, ils sont des ennemis, sauf, qu'en tant que Musulmans, la guerre qui leur est opposable est d'intérêt général. S'agissant donc d'une guerre entre amis, une fois défaits, ils sont ralliés à l'autorité. Leurs biens sont restitués, leurs morts reçoivent les lotions, les prières d'usages et sont enterrés dans les cimetières d'islam. Certes, la pratique déroge souvent à ce jus in bellum entre frères. Toutefois, la formulation normative peut être considérée comme une garantie que certains pouvoirs publics ne sont pas actuellement en mesure d'accorder aux gens de la transgression.

Deuxième argument utilisé par le pouvoir pour rétablir l'ordre public: la lutte contre la rébellion de la pègre et des gangsters. A l'âge classique, on les appelait les muhâriboun, brigands et semeurs de troubles qui portent atteinte à la liberté de circuler. La lutte contre eux trouve une base légale dans un verset qui fixe contre ces réfractaires à l'ordre public le régime alternatif des quatre sanctions à leur infliger : la mort, la crucifixion, l'amputation de la main droite et du pied gauche et le bannissement (5: 33). En fait, le régime est intermédiaire entre les trois formes de sanction et le repentir. Aujourd'hui, beaucoup d’Etats arabes ont adhéré à "la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants"[18]. Toutefois, cette adhésion est formelle, donc non suivie d'application, d'autant plus que la sharî'a demeure la norme fondamentale pour beaucoup d'entre eux .

Troisième catégorie: l'apostasie. L'apostat est dit murtad ou renégat. Le Coran est muet sur son statut ; mais d'après une parole du prophète, « celui qui sort de la religion tuez-le! ». Ce dit est contesté et contestable car il est fort possible qu'il ait été préfabriqué ex-post pour justifier la mort des premiers apostats. Ceux-ci furent des tribus arabes islamisées qui ont renié l'islam aussitôt que le prophète est décédé. Le premier calife Abu Bakr (632-634) leur mena une guerre sans merci ("les guerres d'apostasie"). Le précédent devient autorité, mais la catégorie d'apostasie va s'étendre démesurément.

M. Kerrou a démontré la logique de l'exclusion. A partir des fetwas (consultations) de blasphèmes et d'apostasies à l'encontre de Salman Rushdie, l'universitaire Hamed Abu Zeyd et le prix Nobel Mahfouz, il montre par quels mécanismes le blas­phème contre Dieu, l'insulte au prophète et l'apostasie se trouvent apparentés, par assimilation à l'infidélité (kufr), et deviennent ainsi passibles de la peine de mort[19]. On pourrait penser qu'il ne s'agit que de catégories particulières si le reniement de la foi ne s'étendait démesurément : jeter un exemplaire du Coran, s'habiller comme les infidèles, profaner, considérer licites des choses interdites comme la consommation de l'alcool...

Aujourd'hui, les renégats sont des femmes célibataires, des laïques acculturés, des artistes prenant « la vie à la légère »[20]. C'est ainsi que le Cheikh Ghazali, islamiste égyptien témoigne au nom de la défense devant la Haute Cour égyptienne de sûreté de l'État, chargée d'instruire l'affaire de l'assassinat du laïc F. Fouda par le Jihâd islamique, en 1992. Il déclare alors que la sentence à appliquer à un apostat est la mort à moins qu'il ne se repente, et qu'il il n 'y a pas non plus de châtiment pour celui qui assassine un renégat, se substituant ainsi au pouvoir politique jugé laxiste[21]. Les régimes islamiques sont complices puisque "la déclaration des droits de l'homme en islam", faite dans le cadre de l'OCI (l'organisation de la conférence islamique réunissant les Etats musulmans) en 1990, en Egypte, affirme, dans l’article 10, le même principe: l'interdiction de changer de religion tant que l'islam est la religion "naturelle" (dîn al-fitra). On voit, encore une fois, comment l'État entre en compétition avec les radicaux pour l'appropriation du domaine de la grâce et de l'éthique du salut. Imaginons un instant les conséquences d'une telle qualification: l'apostat ne peut avoir la vie sauve par une quelconque compensation pécuniaire; on ne mangera pas les bêtes qu'il égorge; on ne s'alliera pas non plus à lui par le lien du mariage, alors que toutes choses sont permises avec le protégé. Civilement, il n'existe pas: son mariage est nul, il perd son droit à la garde et au tutorat, il n'hérite pas. Même les règles de la juste guerre lui sont refusées: on l'attaquera de face et de derrière; on ne lui accordera aucune trêve; son sang peut être légalement versé au cours du combat et en tant que prisonnier; ses biens deviennent butin de guerre; il ne méritera même pas le statut d'esclave.

Finalement, bien qu'il s'agisse d'une guerre d'intérêt général, le sort de l'apostat est pire que celui du polythéiste. Le cercle de la violence se referme de nouveau sur la mort. Les Etats ayant souscrit à la déclaration des droits de l'homme en islam y ont-ils songé? Probablement pas, mais les radicaux, sûrement! Une telle approche englobe-t-elle le terrorisme, quatrième stade de l'évolution? La réponse n’est pas tranchée. Car il peut trouver sa place dans le cadre des trois rationalités téléologiques, tout en émergeant de logique de la violence légitime.

La terreur islamiste

Aujourd'hui, l'islam, un peu partout, est partagé entre deux camps rivaux, durs et irréductibles, marginalisant une troisième force médiane et modérée : les éradicateurs contre les islamistes radicaux. Deux questions nous semblent fondamentales : peut-on mettre sur le même pied les éradicateurs et les terroristes? Et, existe-t-il, en islam, une théorie du terrorisme? La première question est politique, la seconde est cognitive. Commençons par la première, la plus immédiate car elle conditionne, partiellement, la seconde, l'enjeu théorique.

Refusant de se plier au verdict des urnes en cas de victoire, les extrémistes se prévalent d'un mot d'ordre: "pas de liberté pour les ennemis de la liberté" ou "pas de tolérance pour les intolérants"[22].

Les radicaux sont, pour leur part, beaucoup plus difficiles à identifier. Sont-ils tous des terroristes? Pas forcément. En tous cas, ce camp rétorque, dans l'agitation, que le suffrage universel donne un droit égal à la participation politique pour tous, voire autorise la prise du pou­voir. Mot d'ordre alternatif du discours "islamo-démocrate" : profiter des élections pour instaurer un Etat authentiquement islamique. On a maintes fois reproché aux deux camps leur duplicité, comme si on avait les moyens de distinguer, en politique, l'apparaître de l'être, l'hypocrisie de l'authenticité[23].

Les islamistes au pouvoir, instaureront-ils un Etat théocratique? Certains en doutent. Nombreux sont ceux qui appellent à prendre un risque bien calculé. D'abord, l'exercice du pouvoir, disent-ils, modère les ambitions ; ensuite, le danger peut toujours être éloigné par une "option Pinochet" nous dit Huntington[24] ; enfin, l'islam n'est pas une alternative à "la fin de l'histoire"[25]. Poussant le cynisme à son terme, Haouri Lahouari estime que l'accession de l'islam radical au pouvoir peut être une "régression féconde" susceptible de donner aux forces démocratiques sécularisées la base populaire qui leur manque[26]! L'impasse est réelle. Au-delà de la rationalité de joueurs sou­cieux de prédire un coup gagnant, des questions poli­tiques de fond demeurent. Faut-il se laisser abuser par "les casseurs de barbus" ayant pour unique mot d'ordre: "Moi ou les Ayatollahs"? Ghassan Salamé refuse en bloc cette compromission.

Que faire? Distinguer les modérés des terroristes? Passer de la confrontation à une logique du dialogue en vue d'intégrer les islamistes au jeu politique, par la cooptation ou la reconnaissance? En somme, sortir du dilemme en imaginant "une issue démocratique" [27] dont les conditions ont été posées comme un affaiblissement du centre, une démarcation non rigide entre ligne dure et ligne modérée au sein de l'armée, un compromis à négocier sous la forme d'un pacte entre réformateurs au pouvoir et modérés islamistes.

Le débat politique décisif pour les années à venir reste ouvert.

Mais encore faut-il affronter l'enjeu théorique: existe-t-il une théorie du terrorisme en islam? On en conviendra facilement, sans doute, l'islam n'est pas l'islamisme et l'islamisme n'est pas le terrorisme. De plus, le terrorisme est un "concept fourre-tout" dont l'extension démesurée risque de déboucher sur une amal­game entre diverses formes de violence extrême ciblée et aléatoire (prises d'otages, attentats contre soldats, kamikazes et autres actes criminels...)[28]. Il est également vrai que l'usage systématique du meurtre, l'homicide intentionnel et dépersonnalisé, est lié à des événements modernes : la terreur révolutionnaire, le nationalisme et la démocratie[29]. Les Temps « pré-modernes » connaissaient déjà quelques variétés de l'homicide lié au corps politique, essentiellement le tyrannicide dont le premier précédent remonte au environs de 1200 avant J-C, au temps des Juges : Ehoud le benjamite libérant Israël des mains d'Eglôn, roi de Moab, l'assassinat auquel s'adonnèrent les zélotes, les germains et les assassins de l'islam (auxquels on doit le mot « assassin » moderne), et bien entendu la violence institutionnelle de l'Eglise[30].

Ce qui est nouveau avec le terrorisme contemporain, c'est qu'il est irrationnel: il franchit le "seuil d'acceptabilité" de la violence ; il efface les frontières entre l'agent et la cible et l'intention et la fin ; il instaure une rupture du lien entre la violence et l'éthique que le tyrannicide, par exemple, tient à établir et auquel il substitue une relation éthologique de prédateur à proie.

Actuellement, les terroristes, bandes armées disséminées dans le monde, appartiennent au camp islamiste. Mais nous sommes désemparés car nous ne savons pas s'ils sont portés en leur sein comme la mère porte les petits, ou bien s'ils viennent à la suite à son échec politique, ou enfin s’ils recourent au terrorisme pour élargir la zone d'action jusqu'à se qu'elle épouse les contours du monde! Certains de leurs sympathisants dénoncent la "terreur contre les terroristes" et vont jusqu'à imputer à la police d'État la liquidation d'intellectuels gênants ou de policiers pacifistes[31]!

L'islam classique n'a pas de mot spécifique pour qualifier ce que les Etats modernes nomment : extrémisme (tatarruf), terrorisme (irhâb) et assassinat (ightiyâl). L'islam classique utilisait plutôt le terme ghuluw (l'exagération, l'excès). L'occurrence s'applique à toute attitude en opposition avec un certain islam modéré qui abhorre l'excès (2 : 143), de la piété aux opinions dissidentes. L'argument est simple : le prophète est envoyé pour rendre la vie plus facile et moins gênante au croyant[32]. C'est l'esprit même du mesotos (wasat) et d'Oïkonomia (iqtisâd) qui a fait la gloire du « miror of Prince » en islam. Politiquement, le mot ghuluw se fixa pour désigner les excès du shi'isme (ghulât al-chî'a). A la différence des simples shi'ites qui font de l'imam un héritier du prophète (par le Coran et le testament de Mohammed), cette faction va au delà en défendant trois autres principes : l'incarnationisme ou l'infusion (l'imam incarne l'esprit saint) ; la métempsycose de la prophétie (la prophétie se transmet) ; et le libertinage (le refus de pratiquer le culte). Ce fut le cas des assassins (hashâshins) qui avaient proclamé, le 8/8/1164, la fin de la sharîa et l'avènement de la "grande résurrection" (al-qiyâma al-kobra)[33]. En prenant les précautions d'usage qui consistent à contextualiser les choses, ils s'étaient réfugiés dans une montagne inaccessible, à Alamut, un peu comme Ben Laden l’a fait en Afghanistan.

De là à ordonner l'assassinat, il n'y a qu'un pas que l'islam politique a sauté, et ce, dès l'origine. Non sans mal, il est vrai, car, si le Coran souscrit à bien des formes de violence, il désapprouve l'assassinat, l'attentat prémédité par traîtrise car "Dieu n'aime pas le traître incrédule" (32 : 38). Ce verset a été interprété par les classiques comme interdisant l'assassinat (fatk ou ightiyâl), sur la base des circonstances de sa révélation : les croyants avaient consulté Mohammed pour tuer les infidèles par traîtrise; et le prophète le leur avait interdit. Toutefois, on dénombre pas moins de sept meurtres par surprise et ruse contre cinq juifs (dont une femme) et deux Mecquois infidèles qui ont blasphémé contre Mohammed à Médine. L'ordre a-t-il été donné par Mohammed ? Ashmawy, en tant que laïc musulman, le nie[34]. Les sources classiques ramènent l'assassinat à une rationalité téléologique : il s'agirait d'une tactique de guerre employée par le prophète à Médine avant que l'islam ne triomphe définitivement. Le scénario assassin se déroule d'une manière presque identique, d'après Tabari : choisir une ou deux personnes proches de la victime pour gagner sa confiance, l'attirer dans un piège de préférence la nuit, et enfin l'exécuter pour jeter la terreur dans le cœur de l'ennemi. Mais ce scénario exclut le suicide, le kamikaze (qu’il ne faut pas confondre avec la mort au combat).

Par ailleurs, l'interdiction du suicide découle du même principe du respect de la vie (4 : 29- 30) et de la responsabilité de l'homme à rendre compte de ses actes ( 74 : 38), et même de ses propres organes : "il sera sûrement demandé compte de tout : de l'ouïe, de la vue et du cœur" (17 : 36). Avec le triomphe définitif de l'islam, le terrorisme a été exclu de la théorie classique de la guerre.[35].

Seules les sectes hétérodoxes pourchassées vont, en fait, y recourir. Avec le kharijisme, sortis des rangs d'Ali, le terrorisme devient une stratégie de la révolution selon un modèle séquentiel qui passe, en fonction de la répression, par quatre phases: l'état de dévouement (la secte réduite au silence) ; l'état de secret (existence difficile) ; l'état de résistance (la lutte armée) ; enfin l'état de gloire quand la minorité, se prenant pour la vraie maison de l'islam, triomphe de la maison de la guerre. A l'inverse, les shi'ites, face à la répression implacable, se retirent derrière une théorie de la dissimulation (la taqiyya) qui consiste à cacher leur parti-pris pour Ali jusqu'à ce que Khomeiny y mette fin, dans les années soixante.

Aujourd’hui, les assassinats politiques reprennent dans la seconde phase nationale. Certes, les moyens orientaux ne sont ni plus sanguinaires, ni plus cruels que d'autres peuples. Mais la liste des assassinats est assez fournie[36]. Le radicalisme sunnite contemporain du Djihâd, du Hamas, des Talibans et du GIA prend le relais, dans les troisième et quatrième phases. Toutefois le terrorisme, dans la logique de ses adeptes, reste un moyen en vue d'une fin. Mais son caractère "éthique" demeure suspect, y compris du point de vue d'une morale islamique à caractère stratégique. La preuve nous est fournie par la difficulté que le clergé shi'ite du Hezbollah éprouve pour fournir une base religieuse à la prise d'otages ou justifier la terreur qui s'est abattue sur les Twin Towers. Leurs chefs préfèrent se retrancher derrière des justifications ad hoc telles que l'utilisation des victimes comme moyen de pression ou d'échange de prisonniers[37]. Néanmoins, au-delà la ruse qui consiste à éviter de passer pour les commanditaires des actes assassins, l'usage de moyens extraordinaires rentre dans le même canon : la désignation de l'ennemi (les orgueilleux) et des amis (les déshérités), ainsi que la logique des moyens (la terreur) et de la finalité (la république islamique).

Sans doute, le terrorisme islamique actuel a-t-il des causes sociologiques modernes que les condamnations réitérés des gouvernements islamiques, dès lors qu'ils en sont la cible et souvent une des causes propices, ne sont guère en mesure d'effacer[38]. Toutefois, entre les assassins d'hier et les commandos d'aujourd'hui, un lien de sympathie existe, faisant dans "le même désir anxieux et zélé de purger la communauté de l'influence étrangère"[39], même si, on ne le dira jamais assez, la différence est profonde entre les deux types d'extrémisme. Au risque donc de transformer les affinités électives en un parallèle rapide, les islamistes se prévalent pour justifier l'élimination physiques de leur adversaires des mêmes précédents que ceux du passé. S'exilant dans un hors-lieu du monde impie, ils mettent en œuvre implacablement les règles de la guerre sainte, s'attaquent aux biens matériels et aux innocents. Du tyrannicide au terrorisme, en passant par la guerre sainte, ils parcourent toutes les séquences de l'histoire de la violence, presque indifférents au temps historique. Peu nous importe alors si le terrorisme, en fin de compte, est inefficace à renverser les régimes en place comme le prouve l'histoire. Cette stratégie décline en coups disséminés, à peine nécessaires à la survie des bandes armées.

Comment les idées résistent-elles à l'épreuve de l'histoire? Ni la généalogie de Nietzsche, ni l'archéologie de M. Foucault ne répondent à la question. Dès les débuts de l'islam, apparaissent les premières et ultimes inquiétudes de la religiosité: sous quel mode se doit-on de vivre son salut-délivrance ? : par la seule profession de foi en Dieu et en Mohammed ou, en plus de cela, par des devoirs impératifs et une opinion spéculative déterminée ? Quelle est la différence entre la foi universelle (imân) et l'islam, religion spécifique? Toutes les théories sur l'islam libéral n'ont malheureusement pas pu mettre fin à la surenchère qui agite l'islam. Du meurtre des premiers califes (Othman et Ali) aux récents attentats, c’est toujours le même geste inaugural, servant à la fois comme mythe mobilisateur, attente eschatologique et utopie réalisatrice.

Toutes les explications de la violence ne peuvent guère supprimer notre intuition : une société est à même de neutraliser "la violence de conviction", au lieu d’être travaillée par la pulsion destructrice. Wellhausen, sur lequel s'appuie Weber, commence son histoire de l'Empire Arabe par le constat que la religion est la marque spécifique de ces sociétés[40]. Or, selon le modèle de l'interprétation du texte religieux de Pier-Cesare Bori, le Texte grandit avec les lecteurs comme la mère grandit avec ses enfants[41]. Pourtant, il semble que l'islam ayant fait de ce même religieux "la raison d'être de l'État, le principe de l'unité, le Staatgedanke"[42] a diminué avec la lecture. Ou, pour être optimiste, le Texte et les lecteurs ont mal grandi ensemble. La démocratie sécularisée pourra-t-elle réconcilier l'islam et le monde? En tout cas, il s'avère aujourd'hui que l'islam peut de moins en moins grandir avec le fondamentalisme radical, après avoir vainement tenté de le faire sans, voire contre lui.

Conclusion

La tension entre l'ordre politique et l'ordre hiéocratique est aujourd'hui cruciale pour l'islam. C'est cette tension qui fait que les fondamentalistes et les Etats césaro-papistes sont maintenant plus que jamais en compétition pour le monopole de la grâce. Le légalisme de la sharîa, au lieu d'être un droit théocratique qui fige les rapports commerciaux, est devenu chez les fondamentalistes une passion animée par une rationalité affectuelle et nostalgique. C'est elle qui pousse les fondamentalistes à contester les régimes islamiques et à assimiler les territoires de l'islam à des territoires infidèles du fait qu'ils n'appliquent pas intégralement la sharîa. Les fetwas, quant à elles, sont devenues une véritable création d'obligations juridiques impératives et non plus une justice de Cadi arbitraire, casuistique et subjective. Vis à vis des non musulmans, la guerre sainte n'a plus pour but le payement du tribut ou la conquête de domaines féodaux, mais elle est entreprise, comme le furent les croisades, sous la devise augustienne: coge entrare. Le combattant fondamentaliste de la foi n’est plus un guerrier animé par les plaisirs ingénus de la vie ici-bas, mais un héros messianique et mortifère qui se sacrifie sur l'autel de Dieu, attiré par la promesse du salut et de l'éternité de son âme dans le paradis. S'agit-il alors d'un véritable salut, d'une rédemption, d'une prédestination ou encore d'une transfiguration négative de la logique de la délivrance?

La question est maintenant ouverte.

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[1] Abdoh, M. (1925) : Exposé de la religion musulmane. Trad. B. Michel & Abderrazak M. Paris.

Geuthner; Jomier, O.P (1954): Le commentaire coranique du manâr. Paris : Maisonneuve & Cie, chap.IX, pp.282-300.

Merad, Ali (1974): "Islam et violence", in Rencontre islamo-chrétienne. Tunis : CERES, pp.159-166.

Hamidullah, M (1981): "La tolérance dans l'oeuvre du prophète à Médine", in L'islam, la philosophie et les sciences. Paris : UNESCO,15-19.

Amor, A & al- (1995): Études sur la tolérance. Tunis: Beit al-hikma & IADH.

Charif, Mohamed (1999): Islam et liberté. Paris: Albin Michel, pp.164-165.

[2] Morabia, Alfred (1993): Le gîhad dans l'islam médiéval, Albin Michel, pp. 23-25.

[3] Schmitt, C. (1972): La notion de politique. Paris : Calmann-Lévy, 66 & sq. Voir Léo Strauss sur cette notion in Schmitt, C. (1988) : Parlementarisme et démocratie. -Paris : Seuil, 189-214.

[4] Tabari: (1958): Chronique (en arabe), vol. 1, 608-614. See version allégée des faits : Chronique de Tabari. Trad. Zotenberg. t.3. Paris : Lib.G.-P. Maisonneuve, pp. 68-72.

[5] Leca, Jean & Schmeil, Yves (1983) : "Clientélisme et néo-patrimonialisme dans le monde arabe". In Internationale Political Science Review, p.4.

[6] Massignon, Louis (1963) : Opera Minora. t. 2. -Beyrouth: dâr al-Ma'âref, 305.

[7]

[8] Voir les compte-rendus d'audience édités par Ahmed, Rifaat Sayed (1991): The Militant Prophet. London: Riad El-Rayyes Books, vol. 1, 1999.

[9] Khosrokavar, F. (1993) "Iran : de la révolution à l'islamisme hezbollah". In Kepel, Gilles editor : Les politiques de Dieu. Paris: Seuil, 1989. Du même auteur : L'islamisme et la mort. Paris : l'Harmattan, 1995.

[10] Voir une bonne analyse sur la sédition confessionnelle qui pousse les terroristes à s'en prendre à ces nouvelles cibles : Roussillon, Alain (1994): "Changer la société par le jihad". In Le phénomène de la violence, op cit, pp.295-319.

[11] Kepel, Gilles (1991): La revanche de Dieu. Paris: Seuil, 72.

[12] Goldziher, I. (1967): Muslim studies. London : Georges Allen & Unwin Ltd, vol.1, 22 (chap.1 : Muruwa and dîn, 11-44).

[13] Morabia, op cit, chap.VII, notamment, 211-214.

[14] Voir justement l'emprise des croisades sur la conscience arabe moderne : SIVAN E (1995) : Mythes politiques arabes. Paris : Fayard/Esprit de la cité, chap.1, pp.23-65.

[15] Les plus célèbres furent le Comte Raymond II de Tripoli et Syrie, abattu en 1129 ou 30, Conrad, marquis de Montferrat, à Tyr en 1192.

[16] Comme Louis IX (Saint Louis) et Fréderic II, empereur germain.

[17] Morabia, op cit, p.304.

[18]Algérie, Arabie Saoudite, Bahrein, Égypte, Jordanie, Koweit, Maroc, Mauritane, Somalie, Libye, Tunisie et Yémen.

[19] Kerrou, Mohamed (1996): "Blasphème et apostasie en islam". In Monothéismes et Modernités. Tunis: OROC/Friedrich-Naumann Stifting, pp.117-204.

[20] Voir Leverrier, I (1993): "LE FIS entre la hâte et la patience". In Kepel, G. Editor: Les politiques de Dieu, op cit., pp.45-46.

[21] Voir la traduction de sa déposition in Maghreb Machrek (1993), n° 141, 123.

[22] Voir le débat en islam: (1995) La violence fondamentaliste . 3 vol. Londres : Riad El-Rayyes Books Ltd. Voir aussi Al-Said, Rifaat, M. S. Al-Ashmawy & A. K. Khalil (1994): Contre l'islamisme. Maisonneuve & Larose.

[23] Leveau, Rémy (1993): Le sabre et le turban, Paris, François Bourin, pp.203-204.

[24] Huntington, Samuel P. (1996): "Democracy for the long Haul", in Journal of Democracy, vol. 7, n° 2, April, pp.8-9 et p.11.

[25] Fukuyama, Francis (1992): La fin de l'histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 246.

[26] Lahouari, Addi (1994): L'Algérie et la démocratie. Paris: La découverte, pp.186-188. L’idée a été reprise: "Algerian tragic contradictions", in Journal of Democracy, July 1996, vol. 7, n° 3, pp.105-106.

[27] Mongin, Olivier, "Fractures", in Esprit, Janvier 1995.

[28] Beeman, William O (1986), "Terrorism : community based or state supported?", in Arab-Americain Affairs, n°16, Spring, pp.29-36, où il est défini par quatre éléments : actes illégaux ; contre des objectifs défensifs ; à but politique ; inacceptables selon d'autres canons. Voir aussi Laqueur, William (1977), Terrorism, Londres, Weidenfeld and Nicolson, pp.7 et 79.

[29] Laqueur, W., op cit., pp.3-20 . Dans le même sens, mais avec un rappel analogique constant aux précédents historique, voir aussi Ford, Franklin L. (1985): Le meurtre politique. Du tyrannicide au terrorisme. Paris, PUF/histoires, p.346.

[30] Ford, op cit., chapitres 1-8.

[31] A titre indicatif, voir Burgeat, François (1988), L'isla­misme au Maghreb. Paris, Khartala, pp.111-113.

[32] Gardet, Louis (1977) Les hommes de l'islam. Paris: Hachette, p.76. Voir aussi Brunshvig, Roger (1976): Etudes d'islamologie, Paris, Vrin, volume 1, p.180.

[33] Corbin, Henry (1961): Trilogie ismaélienne, Paris, Adrien Maisonneuve, volume 3, pp.3-23;

[34] Ashmawy, Mohamed S. (1994): Terreur et terrorisme

au Moyen Orient", in Contre l'islamisme, op cit., p.74.

[35] Lewis, Bernard (1998): "License to kill", op cit., p.19.

[36] Bill, James A. & Leiden, Carl (1974): The Middle East. Politics and Power, USA, Allyn and Bacon, Inc., p.189. Voir en particulier l'inventaire des assassinats au XXème siècle, de 1918 à 1973, p.216.

[37] Sur le Hezbollah, voir Carré, Olivier (1987): "Quelques mots sur Muhammed Husayn Fadhlallah", in Revue Française de Science Politique, p.37. Voir aussi Krämer, D. (1988): "La morale du Hezbollah et sa logique", in Maghreb Machrek, janv.mars, pp.39-59.

[38] La dernière est celle du sommet des chefs d'Etats de la Ligue arabe, suite à la tragédie du 11 septembre 2001. Une fois n’est pas coutume, la condamnation "par le haut" maintient l'ambiguïté sur laquelle nous nous appuyons, c'est-à-dire la distinction entre le terrorisme et l'action violente légitime.

[39] Wright, Robin (1985): The sacred rage. N.Y. : Linden Press/Simon & Shuster, 1985, 41. 8

[40] Wellhausen J. (1909 reedited 1960): Das arabische Reich und sein Sturz. Berlin : Walter de Gruyter & co.

[41] Bori, Pier-Cesare (1991): L'interprétation infinie. Paris: Cerf.

[42] Von Grunebaum, G.E. (1953): Medieval islam. A Study in Cultural Orientation. Chicago, p.157.

Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Mena (Mena) le lundi 13 février 2006 - 00h52:

De la tolérance religieuse musulmane : ce qui est rarement évoqué (info # 011202/6) [analyse]

Par Masri Feki © Metula News Agency

L’affaire des caricatures danoises [1] de Mahomet, qui a provoqué de vives tensions au cours des deux dernières semaines entre Copenhague et certains Etats islamiques [2], suscite auprès du grand public occidental des interrogations légitimes quant à la perception des libertés d’expression et de croyance par les communautés musulmanes en Occident et dans leurs pays d’origine.

Pour certains illuminés de la Bien-Pensance occidentale, les douze illustrations en question n’auraient pas dû être publiées parce qu’elles représenteraient le prophète de l’Islam comme un guerrier et un polygame. Mais en quoi cela pourrait-il choquer les musulmans si ces derniers reconnaissent que Mahomet avait été à la tête des gangs arabes lors des premières guerres expansionnistes de l’Islam (en arabe les « Fotouhat », pluriel du mot « Fatah » [3] qui signifie : invasion) et qu’il avait plusieurs femmes ! D’ailleurs la religion musulmane n’autorise-t-elle pas ses fidèles à avoir jusqu’à quatre épouses ?

En réalité, ce qui a heurté la sensibilité des musulmans, c’est plus le fait que leur prophète ait pu être représenté par une image [4] et non le contenu du message adressé par ces représentations artistiques. C’est ce qu’a déclaré vendredi dernier à la mosquée Al-Azhar, Mohamed Sayed Tantawi, le cheikh de la plus grande instance musulmane sunnite dans le monde.

Mais on peut se demander en vertu de quelle norme un non-musulman serait-il tenu de respecter la loi islamique dans un pays laïc ? Dans l’émission Al-Chari’a wal Hayat (La charia et la vie) de la chaîne qatarie Al-Jazeera, le très respecté cheikh Qardawi a déclaré cette semaine qu’il était du devoir de tout musulman de répandre les préceptes de sa religion dans « les pays de la débauche » et de défendre par le sabre l’honneur de son prophète.

Pour Hamadi Redissi, professeur de sciences politiques à l’université de Tunis, cependant, « on assiste à une tentative d’imposer la charia (loi islamique) au monde ». Le professeur Redissi appelle les Occidentaux à ne pas renoncer à leur liberté religieuse et à la libre critique. « Si vous cédez », a-t-il déclaré au quotidien Il Giornale, « c’en sera fini. Tous les prétextes seront alors invoqués. Il n’y aura pas de limite ».

Les réactions démesurées et plus ou moins belliqueuses des hautes instances musulmanes – sunnites et chiites – et de certains gouvernements islamiques sont d’autant plus révoltantes qu’aucune de ces autorités n’a jamais émis la moindre protestation contre les nombreuses œuvres littéraires et artistiques, articles de presse et manuels scolaires arabes qui donnent une image très négative des autres religions.

Dans les écoles syriennes, par exemple, on apprend aux écoliers de dix ans que les Juifs se servent du sang des enfants musulmans et chrétiens pour le « sacrifice de Pessah » ; en Egypte, de même, de nombreux articles parus au cours des dix dernières années ont été rédigés sur la fête juive de Pourim, pour laquelle les Juifs seraient tenus à obtenir du sang humain, afin que leurs prêtres puissent préparer les pâtisseries propres à Pourim ! [5]

En Arabie wahhabite, on enseigne aux étudiants de troisième année qu’il est du devoir de chaque musulman de manifester mépris et dégoût chaque fois qu’il croise un adorateur de la croix (un chrétien). Ce discours qui ne reflète que la haine gratuite et l’intolérance absolue semble faire école aujourd’hui dans la région du berceau des trois grandes religions monothéistes. Le monde civilisé doit comprendre qu’un chrétien ne vaut pas mieux qu’un Juif dans l’état d’esprit des égorgeurs fanatisés et des brûleurs de livres.

Depuis deux semaines, les principaux médias arabophones donnent la parole à des imams prétendant que l’Occident aurait déclaré la guerre à l’Islam et que les pays musulmans devraient se mobiliser ! Les principaux représentants de la communauté sunnite au Danemark ont quant à eux prétendu que l’islam respectait toutes les religions révélées (monothéistes) et que les Occidentaux devaient faire preuve de plus de tolérance. Qu’en est-il alors des religions « non révélées » ?

Ces propos sont d’autant plus scandaleux que le monde libre n’a jamais cherché à contrôler la presse arabe, de même que le Vatican ne s’ingère pas dans la rédaction des manuels scolaires en Arabie saoudite. Il est peut-être utile de rappeler que si la littérature et l’enseignement musulmans autorisent l’existence des religions monothéistes et reconnaît leurs prophètes (seulement ceux cités par le Coran), il n’en va pas de même des autres religions dites non révélées, telles que les principales confessions asiatiques, formellement interdites dans pratiquement tous les pays musulmans. Même dans les principaux pays arabes dits laïcs-progressistes (Egypte, Syrie), tout converti à une religion non-révélée est passible de la peine capitale !

Qu’en est-il donc de cette tolérance de l’islam si vantée en Occident ? En réalité, l’islam n’admet que les religions qu’il a bien voulu reconnaître, dont il se revendique être la continuité. Et là encore, qu’il s’agisse du judaïsme ou du christianisme, les textes bibliques ne sont tolérés que s’ils sont interprétés à la façon islamique. Les Juifs et les chrétiens seraient ainsi dans l’erreur et l’ignorance et leurs religions auraient été falsifiées. Pour les musulmans, une négation de ces principes est absolument inadmissible car elle remettrait en cause la validité des normes et des vérités coraniques [6]. Cependant, au cours de l’Histoire, cela n’a pas été toujours le cas. A titre d’exemples, sous le califat d’Omar ibn El-Hattab, à la suite de la révolte des mages, ceux-ci ont fini par être considérés comme dhimmis [7], de même que le troisième calife orthodoxe a inclus le sabe’a (le culte des étoiles) dans la même catégorie, alors que ces deux communautés ne sont pas des Gens du Livre ; deux exemples frappants qui démontrent bien que l’islam a toujours été politique et demeure davantage une doctrine de domination politique qu’une confession ; encore moins une philosophie.

Aujourd’hui encore, la religion musulmane est instrumentalisée au Moyen-Orient par tous ces régimes médiévaux en quête de légitimité populaire. Même dans les écoles prétendument laïques des républiques pseudo progressistes, on apprend aux écoliers coptes, kurdes et turkmènes que leurs ancêtres sont arabes et la confusion est maintenue au mépris de la vérité historique. Les pyramides sont à porter au crédit de la « Nation arabe ». Même les prophètes d'Israël sont arabes selon ces manuels. Ainsi Abraham est le premier arabe musulman qui a prévu l’avènement de Mahomet, à l’instar de Moïse et du prophète Issa ibn Mariam, autrement appelé Jésus. On apprend aux écoliers que la Bible est rédigée en arabe, que Babylone, la Syrie, la Judée ont toujours été arabes et que l’islam est la religion naturelle dans laquelle chacun naît mais dont certains parents détournent leurs enfants en les faisant chrétiens, juifs ou autres. L’islam est présenté comme l’unique religion devant Dieu.

En Egypte, dans un manuel de classe préparatoire, un texte dit que le message de Mahomet a été nécessaire pour convertir à l’islam les koffar [8] parmi les ahl kitab [9] et les moushrikin [10]. Ceux qui ont mécru après avoir reçu ce message sont les pires personnages de la création ; ceux qui ont cru et ont fait du bien, en sont bien entendu les meilleurs. Un autre texte précise que ceux qui ne croient pas à Mahomet et complotent contre lui seront punis le « jour de la résurrection ». Les termes koffar et moushrikin ne se limitent pas aux adeptes des religions non-monothéistes mais englobent aussi, dans certains textes, les chrétiens et les Juifs qui relèvent normalement du statut plus favorable des dhimmis. En Syrie laïque, un texte scolaire sur le droit de la famille critique le mariage mixte entre un musulman et une non-musulmane et interdit tout mariage entre une musulmane et un non-musulman.

Comme le souligne le juriste palestinien chrétien, Sami Al-Deeb, le thème de Djihad, guerre sainte, ne cesse de figurer dans les livres d’enseignement religieux islamique, même dans les pays arabes les plus progressistes. On y affirme que le musulman ne se soumet pas à l’ennemi de sa foi et de sa religion, qui sème le désordre dans sa patrie et son pays. La parole du musulman doit être toujours la plus haute. C’est pourquoi il lutte jusqu’à la victoire, afin que la parole d’Allah soit supérieure, et la parole des mécréants inférieure. Il est parfois difficile de discerner s’il s’agit d’une guerre défensive ou offensive qui vise à étendre l’islam à l’ensemble du monde. Il n’est pas non plus facile de se faire une idée claire sur les rapports que le musulman doit entretenir avec l’Etat. Alors même que le gouvernement établit les manuels, certains éléments religieux radicaux auraient même tendance à justifier une lutte contre ce dernier.

Au Moyen-Orient dit arabe d’aujourd’hui, en dehors des cours de religion musulmane imposés aux étudiants nés de pères musulmans, les manuels en langue arabe sont fortement influencés par ces préoccupations religieuses. En Egypte, par exemple, dans l’introduction de l’un de ces ouvrages, on peut lire que son but est de « graver dans le cœur des élèves les hautes valeurs qui approfondissent la foi en Allah et en la religion ». De manière générale, au Moyen-Orient, ces manuels comportent de nombreux textes coraniques et récits du prophète de l’Islam mais pas un seul texte de l’Ancien ou du Nouveau testament [11]. Parfois même, des récits bibliques qui se trouvent dans le Coran ne sont enseignés que sous leur forme coranique, qui diffère sensiblement de celle de la Bible. Les thèmes de ces ouvrages se rapportent uniquement à la période postérieure à la conquête musulmane de l’Egypte ; la période pharaonique ou copte chrétienne étant complètement escamotée.

Pour l’opposant égyptien résidant aux Etats-Unis, Magdi Khalil, le véritable problème est celui du système éducatif qui ne permet pas au musulman de connaître l’ « autre », tandis que les non-musulmans apprennent le Coran dans le cadre des cours de littérature. En effet, et comme le souligne Sami Al-Deeb [12], dans les cours de langue arabe, l’étudiant chrétien est obligé d’apprendre et de réciter des formules islamiques. Lors des récitations, chaque texte coranique est précédé par la locution : « Allah a dit… ». Les questions reviennent avec insistance : « Que dit Allah ? ».

De nombreux textes s’efforcent d’inculquer aux étudiants les vertus sociales et le comportement juste, mais toujours à partir des textes islamiques, tirés le plus souvent du Coran. L’islam a donc officiellement le monopole de la vertu et des bonnes actions. Un manuel égyptien parmi d’autres apprend à tous les élèves sans distinctions comment échapper à l’enfer : « croire en Allah, faire la prière, jeûner pendant le Ramadan et faire le pèlerinage à la Mecque ». Il est ensuite ajouté qu’Allah se venge des koffar, des mécréants. Ceux qui ne croient pas au Coran doivent savoir qu’ils n’échapperont pas à la sanction divine le Jour du Grand Jugement (Yom al-Qiyama).

Si quelques caricatures parues initialement dans un modeste journal scandinave ont pu provoquer toute cette violence dans le monde musulman, et ont pu être interprétées par certains hommes d’Etat de ce monde comme un « complot sioniste » consécutif à la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes, la réaction occidentale doit être à la hauteur de l’enjeu.

En ce sens, il faudrait que nos sages et paisibles rabbins d’Europe demandent aux dignitaires des hautes instances musulmanes de supprimer du Coran les passages à caractère clairement raciste et intolérant, de remettre en cause le verset qui fait des Juifs des descendants des singes et des procs. J’invite de même nos honorables évêques à demander à ce que soient condamnés les hadiths (paroles) de Mahomet qui prêchent l’extermination des infidèles et légitiment les guerres dites saintes. Des excuses qui ont déjà quatorze siècles de retard.

Pour tout dire, les excuses présentées par certaines chancelleries occidentales sont révoltantes. Elles dénotent de leur ignorance satisfaite autant que naïve de l’environnement éducationnel qui règle la vie de la Umma, la nation des Croyants de l’islam. Le Monde libre l’est visiblement de moins en moins.

Notes :

[1] Caricatures parues dans le journal danois Jyllands-Posten et reprises par un journal norvégien, Magazinet.

[2] L’Arabie saoudite, la Libye, la Syrie et l’Egypte ont été les premières à réagir en demandant des excuses officielles. Tripoli n’a pas tardé à rappeler son ambassadeur à Copenhague tandis que Riad a appelé au boycott des produits danois.

[3] Littéralement : ouverture.

[4] Dans l’islam, il est interdit de dessiner les prophètes mentionnés dans le Coran.

[5] Voir l’affaire Adel Hamouda, ce journaliste du quotidien égyptien n°1, Al-Ahram, qui a été poursuivi en France il y a cinq ans pour avoir consacré un éditorial à ce sujet, s’inspirant du faux Protocole des Sages de Sion qui , d’après l’auteur, devrait être diffusé dans les pays arabes.

[6] Ce qui est tout à fait pensable dans la mesure où les religions juives et chrétiennes sont plus vieilles que l’islam.

[7] Protégés ; statut accordé initialement aux Juifs et aux chrétiens soumis à l’autorité califale.

[8] Pluriel du mot kaffer qui veut dire : mécréant.

[9] Gens du livre ; désigne généralement les Juifs et les chrétiens.

[10] Pluriel du mot moushrik qui veut dire : polythéiste.

[11] Selon certaines estimations sujettes à caution, dans la mesure où elles sont souvent « gonflées » par les intéressés et minimisées par les autorités, les chrétiens représenteraient les pourcentages suivants de la population arabophone du Moyen-Orient : 15% en Egypte, 4% en Irak, 12% en Syrie, 38% au Liban, 9% en Jordanie, 13% chez les Palestiniens.

[12] Dans une étude sur Les mouvements islamistes et les Droits de l’homme.

Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Breitou (Breitou) le dimanche 12 février 2006 - 20h55:

Tiens j en suis une VERONIQUE...Comme conserve y a pas mieux au PTB...:):):)

Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Email (Email) le dimanche 12 février 2006 - 20h29:

bonjour,

cela fait un moment que je navigue sur votre site, et je trouve que vos recettes sont exellentes! cependant, je souhaiterai trouver la recette des variantes, afin de pouvoir les conserver.

je vous en remercie d'avance.

Véronique

Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Emma (Emma) le dimanche 12 février 2006 - 19h42:

"Qui a franchi la ligne ?" [...] "n'est-ce pas ceux qui détruisent des bâtiments et menacent de décapiter les dessinateurs ? Ils sont au-delà de la civilisation et la civilisation doit être capable de défendre ses idées".


Caricatures: Art Spiegelman exige pour la presse "le droit d'insulter"


BORDEAUX (AFP) - Le dessinateur américain Art Spiegelman estime dans un entretien à paraître dans l'édition dominicale du journal Sud-Ouest qu'il est "vital de préserver une presse libre qui a le droit d'insulter" même s'il regrette dans "l'affaire (des caricatures) danoises" de Mahomet "le contexte de publication".

"Ce qui me gêne dans l'affaire danoise, c'est le contexte de publication. Ces dessins ont été suscités par un journal qui se trouve politiquement entre Sarkozy et Le Pen, et qui a des arrière-pensées xénophobes", juge l'auteur de "A l'ombre des tours mortes", qui avait démissionné du New Yorker après le 11 septembre 2001 pour dénoncer le conformisme éditorial des médias américains.

Il ne s'agissait donc pas au départ "d'une question de liberté d'expression", poursuit-il. "Je crois que la discrétion aurait été la meilleure attitude", ajoute-t-il, concernant la publication par certains journaux français des caricatures incriminées. "Néanmoins, là où en est, je pense qu'il faut montrer ces dessins" tout simplement pour "comprendre ce qu'il se passe".

En revanche, Art Spiegelman "tire (son) chapeau" à Charlie-Hebdo (qui a publié mercredi un numéro spécial sur le sujet) dont le "rôle est d'être provocateur".

"Je n'ai pas lu les articles accompagnant les dessins, mais je suppose qu'ils expliquent les termes du débat. C'est absolument nécessaire", estime-t-il.

"Qui a franchi la ligne ?", s'interroge-t-il, "n'est-ce pas ceux qui détruisent des bâtiments et menacent de décapiter les dessinateurs ? Ils sont au-delà de la civilisation et la civilisation doit être capable de défendre ses idées".

"Serais-je content de voir les dessins antisémites iraniens dans Charlie ? Non, mais j'accepte", poursuit l'auteur de "Maus", fils de déportés survivants d'Auschwitz.

Il explique en outre "par une censure très forte" le refus par les médias américains de montrer ces caricatures. "En ce moment, la presse européenne est plus libre que la presse américaine. CNN montre les dessins en les floutant, comme si c'était du porno !", s'exclame-t-il.

Les Etats-Unis sont "un pays qui a peur", estime Art Spiegelman. Et il se déclare "désespéré par l'état de (son) pays, de (sa) planète". "La satire a beau être vive à nouveau (...) elle n'induit aucun changement. C'est juste une façon de relâcher la pression", conclut-il.

Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Albert (Albert) le dimanche 12 février 2006 - 16h24:

Que puis-je avoir pour 10 000 Euros Michka..? En Floride....Un pied t'à terre ou un studio dans le virtuel..???

Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Michka (Michka) le dimanche 12 février 2006 - 15h43:

http://www.lexpress.fr/info/monde/dossier/bush/dossier.asp?ida=436803


L'Express du 02/02/2006
Monopoly à Miami

de notre envoyée spéciale Corinne Scemama

Le paradis des golden retraités est devenu en quelques années le Manhattan de la Floride, un véritable eldorado immobilier où les Français sont désormais très présents. Projets pharaoniques, prix en folie… le jackpot pourrait trouver ses limites

Le soleil ardent lui fait cligner les yeux, donnant à Michaël un air ennuyé. Pourtant, ce commerçant français de 35 ans est aux anges. Dans moins d'une heure, il va en effet commencer une longue tournée de visites d'appartements à Miami Beach, Bal Harbour, Coconut Grove et Aventura, emmené par Karl Trochu, un agent immobilier breton installé aux Etats-Unis depuis dix ans. Investir dans la pierre américaine est pour lui la promesse d'une nouvelle vie, plus facile et plus heureuse. Comme lui, de nombreux Français se précipitent dans la capitale économique de la Floride - en pleine expansion avec un produit intérieur brut de 85 milliards de dollars, soit 3 fois plus qu'il y a quinze ans - pour profiter de l'extraordinaire boom immobilier, entretenu par une spéculation sans limite auprès de laquelle la flambée parisienne fait figure de léger frémissement. Ce développement à marche forcée - plus de 60 000 appartements et une centaine de tours sortiront de terre d'ici à trois ans - va faire de Miami une des premières villes des Etats-Unis. Manhattan sous les tropiques, devenu le nouvel eldorado des aventuriers de tous pays, Français en tête.

«9,5 millions de dollars, c'est vraiment donné pour un tel emplacement!»

Vieux motels endormis au bord de l'océan, établissements Art déco rose bonbon ou vert anis construits dans les années 1920: longtemps, la ville de Scarface a été la maison de retraite de l'Amérique. Cet univers kitsch a fait place, au début des années 1980, sous l'influence de prisonniers cubains libérés par Castro et exilés aux Etats-Unis, à un haut lieu de la drogue et du sexe. Une nouvelle réputation, assise par une série télé devenue culte: Miami Vice. Désormais branchée, Miami devient le rendez-vous incontournable de la jet-set internationale. Du couturier Gianni Versace à Madonna ou Sharon Stone, en passant par Michel Sardou, tous s'offrent à cette époque des maisons d'un luxe extravagant ou des appartements situés dans des îles fermées au public.

Cette redécouverte d'un endroit qui offre à la fois un front de mer magnifique, du soleil toute l'année et une situation exceptionnelle - proche de New York, et de l'Amérique du Sud - dope un marché immobilier autrefois peu actif et très bon marché. De nombreux Cubains, Colombiens, Argentins ou Brésiliens aisés suivent la mode et s'y installent. Et, depuis la fin des années 1990, les prix ne cessent de grimper. Une maison avec piscine face à l'océan qui se négociait 250 000 dollars voilà sept ans vaut 10 fois plus aujourd'hui.

Bluffés par le luxe et par les services
Key Biscayne, île protégée à vingt minutes du centre-ville, est une sorte de «Neuilly-sur-Pacifique», où tout s'achète et se revend à prix d'or. Un vrai ghetto pour riches. Brigitte de Langeron, tunique indienne rose, babouches turquoise et lunettes de soleil Chanel, est un agent immobilier français spécialisé dans le haut de gamme. C'est avec un naturel désarmant qu'elle jongle avec des prix astronomiques. «9,5 millions de dollars, c'est vraiment donné pour un tel emplacement», affirme cette quinquagénaire sophistiquée en visitant la maison de Cher, une des nombreuses stars amoureuses de Key Biscayne, tout comme Brad Pitt ou Andy Garcia. Ici, en effet, les belles villas peuvent atteindre 25 millions de dollars. Il y a huit ans, une richissime excentrique s'en est offert une avec plage privée pour 4,8 millions de dollars. A l'époque, tout le monde l'avait traitée de folle: elle vient de la vendre, réalisant une plus-value de 12 millions de dollars!

Plus encore que le marché des maisons, c'est celui des condominiums (immeubles en copropriété) de luxe qui explose. A Key Biscayne, non loin des huit tours de l'Ocean Club, financées par George Soros, où la valeur des appartements a quadruplé en trois ans, un immeuble de 300 logements va bientôt se construire, dont les plus chers pourront grimper jusqu'à 10 millions de dollars. Ni le prix exorbitant ni le passage de l'ouragan n'ont découragé les acquéreurs, puisque Martin Mas, directeur des ventes de Fortune, acteur incontournable de l'immobilier à Miami, fait état d'une liste d'attente de 2 000 personnes. Tous les projets sont pharaoniques. Le milliardaire Donald Trump va ainsi construire trois immenses tours d'un luxe inouï, où les 2-pièces se vendent 1 million de dollars, et les penthouses 25 millions de dollars, tandis que l'Icon, immeuble relooké par Philippe Starck, a été vendu en quelques semaines à une clientèle étrangère avide de design. Ces nouveaux condominiums bluffent totalement les acheteurs, notamment les Français. «Ils n'ont pas l'habitude d'une telle profusion de services», observe Pierre de Agostini, PDG de Miami Investment Brokers. Piscine, salles de sport et spa, voituriers et valets, restaurants et bars: rien n'est trop beau pour ceux qui y mettent le prix. Le Marina Blue, building en construction au cœur de la ville, proposera au 14e étage une vraie plage de sable (chaud) avec des cocotiers.

Pas un seul programme n'échappe à la frénésie. Récemment, à Fort Lauderdale - à près d'une heure de Miami - des centaines de personnes ont campé quarante-huit heures pour avoir le droit de réserver un appartement à 350 000 dollars. Certains promoteurs organisent des loteries pour choisir ceux qui pourront signer. Mais l'engouement pour ce type de logements n'est pas seulement dû à la qualité des prestations.

«1 Français sur 2 a passé le diplôme d'agent immobilier en une semaine»

Mieux que le casino, la roulette et le black jack réunis, voici le flip. Ce système consiste à collectionner les réservations dans des immeubles qui ne sont pas sortis de terre, en s'acquittant de seulement 20% du prix total et en les revendant avant même que le premier coup de pelle ne soit donné. Et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'immeuble soit livré. «Le bien peut changer 5 ou 6 fois de mains», explique Nathanaël Cohen, jeune HEC de 26 ans, directeur général de Miami Investment Brokers. Cette martingale infaillible stimule les investisseurs: la plupart d'entre eux n'hésitent pas à réserver 2, 3, 5 ou même 10 appartements qu'ils n'occuperont jamais. Une pratique encouragée par les promoteurs, qui touchent une commission à chaque transaction effectuée.

Les Français ne sont pas les derniers à profiter d'une telle aubaine. Ce sont d'abord les expatriés - 25 000 entre Miami, West Palm Beach et Boca Raton, selon un comptage officieux - qui ont commencé à s'y intéresser. Agent de voyage français, Franck Bondrille arrive en Floride en 2000. Un an plus tard, il s'achète deux appartements à 75 000 dollars chacun, qui grimpent à 250 000 dollars en trois ans. Ce gain inespéré lui a inoculé le virus de l'immobilier. Aujourd'hui, il «flipe» autant pour lui-même que pour les autres. Le professionnel du tourisme s'est doublé d'un agent immobilier. «C'est bien plus lucratif que le voyage», affirme-t-il, dévoilant ses projets: ouvrir une boutique qui proposerait à la fois le sable chaud et la pierre. «Et celui qui profiterait de ses vacances pour s'acheter un bien verrait le prix de son séjour déduit du montant de la vente.»

Cet esprit d'entreprise est largement partagé par la communauté française de Miami. «1 Français sur 2 a passé le diplôme de Realtor [agent immobilier], acquis en à peine une semaine de stage», estime le consul général de France. Les femmes d'expatriés s'y sont presque toutes mises. Et lors des French Tuesdays, soirées organisées par Cyril Kadouch qui réunissent de 400 à 3 000 Français, toutes les conversations tournent autour d'un seul et même sujet: la pierre. Les Français font partie des plus gros joueurs du Monopoly de Miami. Tous ceux qui se sont enrichis dans d'autres business ont opportunément pris le virage de l'immobilier. Fred Joch est un jeune homme pressé à la belle gueule d'ange et au bagout inimitable. Arrivé aux Etats-Unis il y a une dizaine d'années, il s'est mis à importer des rollers chinois pour une grande chaîne américaine de magasins.

Du placement à l'achat d'une résidence
Fortune faite dans le Midwest, ce fou d'Amérique a migré vers Miami: «L'atmosphère qui y règne me fait penser à Barcelone au temps de la Movida», note ce globe-trotteur. Depuis, ce parfait trilingue - français, anglais, espagnol - est devenu marchand de biens. Dernièrement, il a investi, avec d'autres, 6 millions de dollars dans l'achat d'un immeuble qui s'est revendu, six mois plus tard, 20 millions de dollars. Simon Nemni préfère, lui, s'offrir de vieux hôtels Art déco qu'il retape avec talent, comme le Clinton, dont le prix a quadruplé en moins de quatre ans.

Les Français de France ont rapidement imité les expatriés, encouragés par des agents immobiliers fraîchement émigrés aux Etats-Unis. «Nos compatriotes, qui ne parlent pas bien l'anglais et qui ont peur de se faire avoir, préfèrent avoir affaire à nous», explique Valérie Nivert, une Frenchy enjouée qui travaille pour un groupe américain. Le marché des Français a tellement prospéré ces trois dernières années - de 10 à 15% des achats - que la plupart des officines embauchent des francophones. Thibault de Saint-Vincent a su anticiper l'engouement des Français pour la Floride. Il y a cinq ans, sans crier gare, il a revendu ses agences parisiennes pour créer sa société, Barnes, à Miami. «Je sentais qu'il allait s'y passer des choses extraordinaires», explique-t-il. L'explosion de l'immobilier lui a donné raison. Enthousiaste, il a déjà remporté quelques victoires comme la revente du bâtiment de l'Alliance française, acheté 350 000 dollars il y a huit ans, pour 1,8 million de dollars. Avec de tels résultats, le nouveau Franco-Américain n'a aucun mal à convaincre les investisseurs français de placer leur argent aux Etats-Unis. Chaque mois, à Neuilly, il organise des réunions «spécial USA», invitant des clients à témoigner de leurs gains. Aujourd'hui, l'investissement en Floride n'est plus considéré comme une diversification exotique. Toutes les agences s'associent à des avocats spécialisés dans l'immigration pour simplifier au maximum les procédures. Glenn Cooper, un New-Yorkais francophile converti au mode de vie «cool» de Miami, est devenu un as de ce type d'achat. Pierre de Agostini et Nathanaël Cohen, qui dirigent Miami Investment Brokers, se sont eux aussi entourés d'une équipe, constituée de deux avocats et d'un courtier en prêts. Ce dispositif est destiné à prendre en charge de A à Z la clientèle française.

«On craint qu'il n'y ait beaucoup de spéculateurs et peu d'utilisateurs»

Du placement immobilier à l'achat d'une résidence principale, il n'y a parfois qu'un pas que de plus en plus de Français franchissent. Depuis deux ou trois ans, de nouveaux expatriés s'installent à Miami. «Beaucoup de jeunes entrepreneurs viennent refaire leur vie ici», observe Jacques Barbera, patron de Constructa US, promoteur marseillais pionnier dans la région puisqu'il y a construit, voilà vingt ans, le centre commercial de Coconut Grove. Dernièrement, le directeur des ventes de Fortune a enregistré un taux d'appels record venant de France après les émeutes des banlieues de l'automne 2005. Mais, plus que l'insécurité, c'est la fiscalité désavantageuse et la frilosité des banques qui poussent de plus en plus de Français à s'installer outre-Atlantique. Michaël, par exemple, s'est décidé à venir vivre à Miami sous le coup d'une grosse colère, lorsque son banquier lui a refusé un prêt pour l'achat d'un magasin, malgré un apport de 50%.

Parmi les derniers arrivés, la communauté juive française occupe une place importante. Après la série d'attentats antisémites perpétrés en France, certains ont décidé de quitter le pays, hésitant entre Israël et la Floride. Beaucoup d'entre eux ont finalement opté pour Miami. Ils élisent plutôt domicile à Bal Harbour et Aventura, au nord de la ville, s'offrent des maisons à 1 million de dollars et des appartements à 500 000 dollars. Leur nombre a tellement augmenté depuis deux ou trois ans qu'une nouvelle synagogue va se construire, tandis qu'une multitude de restaurants kasher ont ouvert, dont le célèbre Juliette, rendez-vous favori des juifs séfarades. Le boulanger Paul, qui a choisi de conquérir les Etats-Unis en commençant par Miami, propose lui aussi, à côté de son pain et de ses quiches, un pastrami kasher.

Les rivages ensoleillés de la Floride ne doivent cependant pas complètement aveugler les Français qui pensent que le jackpot est assuré. «C'est faux», prévient Valérie Nivert. D'abord, beaucoup d'entre eux sous-estiment les frais annexes. «La taxe foncière annuelle représente 2% du montant du bien, donc 20 000 dollars par an pour un logement valant 1 million de dollars», explique Thibault de Saint-Vincent.

Miser sur des valeurs sûres
Ensuite, ils croient tous pouvoir autofinancer leur bien en le louant. Or, à Miami, les loyers ne sont jamais élevés: «Le bénéfice se fait exclusivement à la revente», estime Karl Trochu. Enfin, les Français n'évaluent pas le poids des charges. Si la facture annuelle de jardinage à l'Ocean Club, à Key Biscayne, atteint 1 million de dollars, celles de la piscine et du maître-nageur, des valets de parking ou des entraîneurs du spa sont à l'avenant! «L'addition peut se monter à 1 000 € par mois pour chaque copropriétaire», prévient Valérie Nivert.

Et puis, dans ce pays de cocagne, la spéculation commence à trouver ses limites. Les condominiums qui s'alignent le long de l'océan ont été conçus en trop grand nombre, et font craindre aux experts des lendemains qui déchantent. Même si Miami reste moins cher que New York et Los Angeles, tous évoquent la possibilité d'un krach dans le haut de gamme. «La crise est latente. Jusqu'ici, personne n'a songé à évaluer les besoins», affirme Jacques Barbera. «On craint que, finalement, il n'y ait beaucoup de spéculateurs et peu d'utilisateurs, reconnaît Nathanaël Cohen. 90% de ceux qui réservent dans un immeuble en préconstruction revendent avant le closing [le solde].» Et même si les millionnaires de la planète aiment passer leurs vacances à Miami, cette clientèle n'est pas extensible. «Attention! prévient Jacques Barbera, une grande partie des programmes ne verra jamais le jour.» Dans ce cas, les fonds investis risquent de n'être jamais récupérés! En cas de crise, les investisseurs trop gourmands ne trouveront plus d'amateurs pour racheter leurs promesses avant la fin de la construction. Celui qui a réservé 5 appartements en ne payant que 20% du montant total pourrait bien être contraint d'aller au bout de son achat, et, à ces tarifs, l'addition sera lourde.

Pour éviter de tels déboires, il faut redoubler de prudence. Dans un marché aussi spéculatif, mieux vaut miser sur des valeurs sûres, «n'acheter que lorsque l'immeuble est déjà sorti de terre», conseille Valérie Nivert. «Une maison est peut-être plus chère, mais la pénurie de terrains assure sa revente», ajoute Thibault de Saint-Vincent. Loin de ces considérations, Michaël et sa femme fêtent leur récente acquisition dans un des bars branchés de Miami Beach. Après d'épuisantes visites, ils viennent en effet de réaliser leur rêve américain…


Post-scriptum
La France arrive en tête des investisseurs étrangers en Floride, avec plus de 35 milliards de dollars en cinq ans, devant le Canada, le Royaume-Uni, le Japon et l'Allemagne. Les grands groupes, comme Vinci ou LVMH, qui y sont implantés, représentent 25% du total des filiales françaises installées aux Etats-Unis.

Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Braham (Braham) le dimanche 12 février 2006 - 13h34:

Amalgame

"Assimilation abusive à des fins polémiques (en politique notamment) " (Petit Larousse):

Ce mot, qui était sur la bouche de tous les "intellos" pro arabes il y a quelques temps, a été completement oublié quand il remplit aujourd'hui toute autre pensée dans les rues du monde islamique. Quelle compagnie joyeuse pour Tartuffe.

Amalgame

Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Breitou (Breitou) le dimanche 12 février 2006 - 13h10:

MRAP= Mouvement Retrograde des Annonces Personnelles.

Rétrogrades.

Bref, il élève la voix lorsque cela lui convient.

Haut de la pageMessage précédentMessage suivantBas de la pageLien vers ce message   Par Albert (Albert) le dimanche 12 février 2006 - 13h02:

http://www.koreus.com/media/jesus.html


Ou est passe le MRAP Pour denoncer cette photo....????? Sans doute au HAMAM RMIMI POUR SE DECRASSER...!!